Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 25.djvu/927

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

veut produire, en marquant minutieusement la place de chaque fil. Après la mise en carte vient encore le lisage, qui a pour but de distinguer, sur les fils de la chaîne, les points qui doivent être apparens et ceux qui doivent passer à l’envers du tissu. L’ouvrière fait cette opération sur un cadre tendu de fils qui simulent la chaîne, et parmi lesquels elle sépare les fils apparens ou cachés au moyen de ficelles qui à leur tour simulent la trame. On se sert de ce cadre pour préparer des cartons percés de trous que l’on met en contact avec le mécanisme chargé de faire mouvoir les fils de la chaîne sur le métier. Ces cartons une fois posés, le tisseur peut commencer sa besogne. Tout ce travail, qui emploie tant de bras, coûte tant de soins et dure si longtemps, n’est donc, à proprement parler, que la préparation du travail. Enfin, lorsque le tisseur à son tour a fini sa tâche et rendu la pièce fabriquée au négociant qui lui avait confié les fils, celui-ci, dans la plupart des cas, la dépose encore chez l’apprêteur, qui la nettoie, lui donne le brillant, et, s’il y a lieu, certaines apparences particulières, celles par exemple de la moire ou des étoffes gaufrées. L’art des apprêts constitue à lui seul une grande et difficile spécialité.

N’est-ce pas là, comme nous le disions, une véritable armée d’artistes, d’ouvriers, d’industriels de toute sorte? Dans cette armée, on retrouve partout les femmes. D’abord dans la magnanerie, où l’on élève le ver à soie. Le tirage ou filage se fait exclusivement par elles ; elles concourent avec les hommes à la plupart des opérations du moulinage. Les hommes sont en plus grand nombre dans les ateliers de teinture, et les femmes n’y sont employées qu’à des travaux accessoires, tels que le pliage ; mais dans les spécialités qui viennent ensuite, jusqu’au tissage, il n’y a que le dessin et la mise en carte qui soient exclusivement dévolus aux hommes : le lisage se fait indifféremment par des hommes ou par des femmes ; puis viennent les dévideuses et canetières, les ourdisseuses, les tordeuses, les remetteuses. Enfin, pour le tissage proprement dit, c’est-à-dire pour l’industrie en somme la plus importante et qui emploie le personnel le plus nombreux, plus d’un tiers des métiers dans la ville de Lyon (il n’y en a pas moins de soixante-douze mille), et peut-être les deux tiers dans la grande banlieue, sont occupés par des femmes.

On comprend aisément pourquoi la présence des hommes est nécessaire dans les ateliers du moulinage et de la teinture. Cependant, à mesure que les machines du moulinage se perfectionnent, les hommes cèdent la place aux femmes, qui finiront par être elles-mêmes remplacées par les enfans. On croirait au premier abord que l’industrie du dessinateur pour étoffes est faite exprès pour les femmes. C’est un joli travail, sédentaire, peu fatigant, bien rétribué.