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progrès économique; mais c’est un malheur de notre société que les moralistes dédaignent les questions industrielles, au risque de se rendre impuissans, tandis que les intérêts consentent à peine à tenir compte des questions morales.

Les défenseurs de l’agglomération prétendent qu’on ne peut confier de la soie à de grandes distances, comme s’il n’était pas tout aussi facile de se renseigner sur un paysan demeurant chez lui, dans son village natal, que sur un ouvrier perdu au milieu de Lyon, à cinquante lieues de sa famille. Ils insistent sur la nécessité de surveiller le travail pour que le dessin soit bien exécuté, la trame serrée également, le tissage fait avec propreté. La réponse est facile. Ce n’est pas en général le commerçant lui-même qui exerce cette surveillance, ce sont des commis qu’on appelle commis de ronde; il s’agit tout au plus d’en augmenter le nombre, ou de leur donner un cheval, comme à Saint-Étienne et à Saint-Chamond. D’ailleurs on fera faire à Lyon, sous les yeux des négocians, les façonnés, qui sont une affaire de goût et qui peuvent braver l’élévation des prix; le travail rural ne sera que pour les unis, qui n’exigent pas une surveillance aussi assidue. Enfin on voit des difficultés dans les déplacemens de l’ouvrier, de la matière première, des tissus; mais il est clair qu’il se créera des centres secondaires, qu’on installera des comptoirs : toutes ces difficultés prétendues ne sont que des nouveautés, et dans notre pays très routinier et très peu entreprenant, toute nouveauté paraît longtemps une impossibilité.

Il y a peut-être plus de force réelle dans l’objection qui consiste à dire qu’il faut être laboureur ou tisseur, et qu’on ne saurait être à la fois l’un et l’autre: qu’un paysan qui, dans le moment où la terre ne le réclame pas, se met au métier pour utiliser son chômage travaille nécessairement sans propreté et sans délicatesse. Il est certain que la théorie des alternances proposée par Owen en 1818, et qui fait d’une profession industrielle la compagne complaisante et soumise de l’agriculture, ne tient pas contre les difficultés pratiques, quand il s’agit d’une profession qui exige du goût, de l’adresse, une main légère. A Crefeld, où quelques laboureurs emploient le mauvais temps à tisser, on n’obtient d’eux que des ouvrages de qualité très inférieure; mais à Crefeld aussi la plupart des métiers ta tisser ruraux sont tenus par des femmes, et ceux-là réussissent à merveille. A Zurich, les femmes occupent cinq métiers sur six. Voilà le vrai, voilà un partage intelligent du travail : à l’homme, la charrue, la bêche, le râteau; à la femme, la navette et le fil de soie. Le mari vit au grand air, bravant la pluie ou le soleil; la femme reste sédentaire, n’interrompant son travail que pour vaquer aux menus ouvrages de la maison. Ces campagnardes, qui ne re-