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point essentiel, l’ouvrier les accepte avec empressement, ce qui prouve qu’elles sont conçues dans un esprit véritablement pratique. Quant aux patrons, ils ont intérêt à les maintenir, même au prix d’assez grands sacrifices, car s’il y a un point désormais acquis à la science, c’est que le meilleur ouvrier, le plus productif et le plus habile, est l’ouvrier bien nourri, bien logé, content de son sort, habitué à la propreté et à la prévoyance. Nos chefs d’industrie comprennent, comme l’aristocratie anglaise, qu’il faut prévenir les dangers du socialisme en réalisant sans lui le bien qu’il rêve, et qu’il ne pourrait accomplir. La philosophie morale, dont les préceptes se répandent chaque jour, leur apprend qu’enrichis par le travail de leurs ouvriers, ils ne sont pas quittes envers eux quand ils leur ont payé un juste salaire, et qu’au-dessus des devoirs réglés par la loi il y en a d’autres plus étendus qui ne relèvent que de Dieu et de la conscience.

La même sollicitude qui veille au bien-être des ouvriers s’est étendue sur leurs enfans. A Manchester, en 1847, quand l’industrie commençait à remplacer partout les hommes par des femmes, un grand nombre de malheureuses mères n’avaient d’autre ressource que de confier leurs enfans à la mamelle à des gardiennes mercenaires qui en réunissaient le plus grand nombre possible dans des chambres malsaines, où toutes les conditions de la santé et de la vie leur manquaient. Pour réduire au silence et à l’immobilité ces pauvres créatures, on leur faisait prendre des doses d’opium. A la même date, par une conséquence terrible, le quart des individus qui mouraient n’avait pas dix-huit mois, la moitié n’avait pas dix ans. Aujourd’hui, en France comme en Angleterre, l’institution des crèches s’est multipliée. Il n’y a pas de grand centre industriel qui n’en soit pourvu. A la crèche succède immédiatement l’asile, puis à l’asile l’école primaire. L’enfant est soigné et protégé depuis sa naissance jusqu’au commencement de l’apprentissage. Ceux qui n’ont jamais vu ni une crèche ni un asile ne savent pas avec quelle intelligence ces utiles établissemens sont organisés, à quelle active surveillance ils sont soumis, avec quel dévouement on s’y occupe de la santé et du bien-être des enfans. Grâce à la crèche et à l’asile, l’enfant du pauvre ne connaît plus ni le froid, ni la faim, ni la malpropreté, ni le vagabondage. La mère dans son atelier peut être tranquille sur le sort de son nourrisson.

Que lui manque-t-il donc à cette femme, à cette mère, pour être heureuse ? Il lui manque la présence de son enfant. Si tout se réduisait en ce monde à avoir un abri pour sa tête, des vêtemens, de la nourriture, il n’y aurait rien à redire à cette vie en commun. Le pain est abondant, la nourriture est saine, le corps ne souffre pas ;