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mal, en passant d’une génération à l’autre, ne fait pas seulement que s’accroître ou s’atténuer ; il se modifie et se transforme. Comme les maladies ne constituent pas des types définis et arrêtés, qu’elles se lient les unes aux autres et varient dans leurs symptômes, suivant les milieux au sein desquels elles se développent, l’héritage d’une affection morbide ne saurait passer des ascendans aux enfans en conservant toujours le même caractère et donnant lieu aux mêmes phénomènes. Ce dont on hérite, c’est un principe de maladie et de dégénérescence, et comme un canevas sur lequel le temps étendra d’autres fils que ceux dont l’existence des parens a été tissue.

Un père, une mère atteints d’aliénation mentale donneront naissance soit à un fou, soit à un épileptique, soit à un paralytique, en un mot à un individu condamné à l’une de ces affections qui semblent n’être que des métamorphoses d’un même principe morbifique, et réciproquement l’une de ces affections pourra, dans la génération suivante, engendrer la folie. Ainsi que l’a remarqué le docteur J. Moreau dans son intéressant ouvrage sur la Psychologie morbide, c’est l’ignorance du véritable caractère de l’hérédité pathologique qui en a fait souvent contester l’existence. « Ayant toujours la loi des ressemblances devant les yeux et ne voyant dans l’hérédité que la transmission des ascendans aux descendans de faits organiques constamment semblables à eux-mêmes, l’on n’a eu le plus souvent, écrit ce savant médecin, à constater que des résultats opposés à ceux que l’on cherchait : c’est ainsi que l’on a vu des hommes doués des plus éminentes qualités de l’esprit et du cœur donner le jour à des enfans imbéciles ou presque complètement dénués du sens moral. » Mais ces antinomies apparentes disparaissent lorsqu’au lieu de s’en prendre aux phénomènes extérieurs, on interroge les conditions mêmes de la vie et que l’on cherche le véritable état physiologique qui a donné naissance à des effets au premier abord opposés. La folie, l’idiotie, c’est-à-dire ce qui est l’expression des plus graves perturbations de la vie morale, contiennent en puissance les qualités intellectuelles les plus transcendantes. L’hérédité, entendue dans son véritable sens, implique la transmission des forces nerveuses ou vitales d’où les qualités morales tirent leur énergie et leurs aberrations.

Le docteur P. Lucas, qui a écrit sur l’hérédité naturelle un traité complet dont on ne saurait trop recommander la lecture, observe que la métamorphose des maladies héréditaires est d’une double nature. Tantôt elle ne s’offre que comme une simple transmutation des formes d’une même maladie, tantôt elle constitue une transformation de l’espèce morbide même. Dans le premier cas, qui se rencontre surtout pour les maladies du système nerveux, l’enfant hérite de la névropathie d’un de ses parens ; dans le second, les ascendans