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la communauté, dans les plus illustres lamaseries, un homme est à peu près divinisé à titre de Bouddha vivant. Ce successeur de Çâkyamouni est recueilli généralement en bas âge sur la foi d’indices attestant sa prédestination ; il vit dans la retraite et dans l’inaction, comblé d’honneurs futiles et entouré des principaux lamas. Dans ces maisons religieuses, deux qualités cependant ont survécu : la tolérance et l’hospitalité.

Au Thibet, le talaï-lama, premier personnage politique et religieux, est aussi un Bouddha vivant. Il habite à Lassha un palais qui est le principal édifice de cette ville, et qui se compose d’une réunion de temples de grandeur différente, dont le plus considérable, haut de quatre étages et d’architecture fantastique, comme toutes les constructions religieuses de l’Asie orientale, est surmonté d’un dôme recouvert de lames dorées et entouré d’un vaste péristyle à colonnes torses. Dans le sanctuaire, sur un trône placé à côté de l’autel, se tient le lama souverain ; on lui attribue une puissance surnaturelle, et des milliers de pèlerins suivent incessamment le chemin de Lassha, qui est aujourd’hui une des villes saintes du bouddhisme, pour venir adorer sa personne sacrée. Ainsi, dans une région considérée comme un des centres et des foyers modernes de la religion bouddhique, on a dénaturé l’enseignement primitif au point de diviniser la créature humaine, si misérable aux yeux de Çâkyamouni, qu’il ne lui enseignait la sagesse que pour la délivrer à jamais des fatigues de l’existence ! Ce fait devait se produire : les hommes ont partout besoin de croire à un être supérieur ; ne le trouvant pas dans leur religion, les sectateurs du Bouddha y ont suppléé en divinisant le Bouddha lui-même ou ses prétendus successeurs.

Au nord de la Tartarie et chez quelques peuplades sibériennes, le bouddhisme confond ses pratiques avec les sortilèges et les conjurations du châmanisme. Dans l’empire de Siam, on sait que les âmes des bienheureux qui renaîtront Bouddhas passent pour s’incarner de préférence dans le corps de certains éléphans, et il en résulte que là, au lieu d’adorer des hommes, ce sont des animaux que l’on traite en divinités. En Chine, les classes supérieures ont échangé les croyances religieuses contre les spéculations philosophiques, et les lettrés semblent généralement avoir adopté une sorte de théisme auquel s’ajoute la, morale de Lao-tsé et de Confucius. Quant au peuple, il a conservé Fô, les pagodes et leurs ministres les bonzes ; mais combien le Fô chinois est loin du Bouddha primitif ! Dans l’idole grossière, aux jambes repliées, au bras levé, devant laquelle fume un bâton de cire au fond d’une pagode, et qu’entourent quelques bonzes au regard éteint, faisant entendre pendant de longues heures les mêmes exclamations, qui reconnaîtrait l’ascète gotâmide, épou-