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ou plutôt par cette ardeur dogmatique qui en prenait le nom, et qui, poussant à la croyance plus qu’au savoir, ne souffrait autour d’elle ni diversion ni résistance. Peut-être le mauvais renom de David Hume, de qui date le mouvement de la pensée spéculative en Écosse et en Allemagne, s’étendait-il aux recherches entreprises pour le combattre et compromettait-il jusqu’à ses adversaires. Si depuis lors les choses ont changé, — trop peu changé encore peut-être, — c’est à sir William Hamilton qu’on le doit. Et lui-même il n’a pas caché l’appui que lui a prêté la France pour réveiller son pays d’une ingrate indifférence aux études et aux hommes qui, dans l’ordre intellectuel, lui avaient fait le plus d’honneur. Le suffrage de la France a beaucoup fait pour la renommée de Reid et pour l’autorité de Hamilton lui-même.

Sa vie, comme celle de tous ces Écossais recommandables par la science, fut simple, studieuse, uniforme. Nulle part plus qu’en ce pays l’existence des philosophes n’est philosophique. Nous avons ailleurs insisté sur le caractère particulier de cet heureux pays destiné à rester lui-même en faisant partie d’un grand empire, à conserver son rang dans l’humanité sans se mêler des affaires du monde, à figurer dignement dans l’histoire de l’esprit humain sans tenir aucune place dans l’histoire politique[1]. Hamilton a pour son compte accepté ces conditions ; il n’a point fait exception à la loi commune, et n’a rien demandé ni obtenu de plus qu’une vie paisible et retirée, une inaction laborieuse, l’indépendance sans bruit, la dignité sans éclat, l’indifférence aux passions et aux vanités du vulgaire. Et que pourrait-on désirer davantage ? Quelle autre destinée est plus faite pour le sage ? Qu’importe donc qu’un grand intérêt biographique ne s’attache pas à ce que nous pourrons dire de sa personne, si en le disant nous trouvons occasion de rendre hommage une fois de plus à ces héros modestes de la médiocrité, en réparant envers eux l’injustice oublieuse d’un siècle épris du plaisir, du bruit et de la fortune ?

William Hamilton était né à Glasgow le 8 mars 1788 d’une branche de la famille historique de ce nom. On sait qu’en Écosse la communauté de nom suffit pour établir la communauté de tribu ; mais de plus une descendance bien constatée rattache le philosophe à sir Robert Hamilton le covenantaire, qui commandait les insurgés puritains au pont de Bothwell. On a trouvé même dans la polémique du descendant quelque chose de la résolution, de l’indépendance et de l’énergie de l’indomptable guerrier, encore cité comme un confesseur parmi les sectateurs un peu radoucis de la foi des caméroniens.

  1. Voyez la Revue des Deux Mondes du 1er avril 1856.