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que je viens d’indiquer, de grands essais d’investigation ? Je voudrais que l’Europe entière se cotisât pour en faire les frais. Quelle noble souscription l quelle admirable quête ! Est-il un seul pays se piquant de quelque culture d’esprit qui osât refuser son offrande ? Un congrès de lettrés et d’artistes se chargerait, par délégués, de conduire l’entreprise. Ce congrès-là réussirait peut-être au moins à s’assembler. On lui interdirait de dépouiller la Grèce : les droits du musée d’Athènes ne seraient pas violés. Ce serait à découvrir et non plus à ravir des chefs-d’œuvre qu’il s’agirait de travailler. En récompense de sa généreuse entremise, l’Europe recevrait des moulages. Les trésors exhumés feraient le tour du monde, tout en restant sous le soleil natal.

Si, comme j’en ai peur, ce projet de croisade esthétique rencontrait quelque difficulté, j’en pourrais proposer un autre, non moins chevaleresque, mais plus facile à pratiquer. On vient de nous tracer le programme de la paix ; les beaux-arts y figurent, on parle de les protéger ; on leur promet, chose nouvelle, une part de cette pluie d’or qui doit inonder la France. Combien de gouttes en faudrait-il pour retourner de fond en comble tout le sol d’Eleusis ? Et quel meilleur moyen de protéger les arts en France que de trouver en Grèce des modèles nouveaux qui rallumeraient peut-être notre ardeur endormie ?

Je désire, sans beaucoup l’espérer, que ce projet rencontre un accueil favorable. Une mesure récente semblerait le promettre. Un jeune archéologue est chargé, nous dit-on, de continuer pendant six mois en Grèce les savantes recherches naguère commencées par lui sous l’aile de son père, et tristement interrompues par le plus cruel des devoirs. L’idée de cette mission aura l’approbation de tous. Il est bien de dire à ce jeune homme : « Allez, cherchez, vous trouverez ; » mais, pour trouver ce qui est enfoui sous terre, suffit-il de bons yeux et d’une juvénile ardeur ? Il faut aussi des bras, et quelque chose encore pour les faire travailler. Ne serait-ce pas l’occasion, sur un point seulement, et dans des proportions modestes, d’essayer ces grands travaux de découverte dont je voudrais que la France revendiquât l’honneur ? Le lieu est clairement indiqué. C’est à Eleusis, ce me semble, que tout d’abord devra se rendre M. François Lenormant. Pour lui, le premier devoir est de découvrir ou du moins de chercher le complément de ce chef-d’œuvre auquel le nom de son père restera désormais attaché. Ses efforts seront heureux, j’espère. Il s’aidera lui-même, j’en ai la certitude ; mais encore faut-il l’aider aussi. Le moyen d’assurer son succès, c’est avant tout de le rendre possible.


L. VITET.