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prises avec les nécessités de la vie, M. Wagner, qui se sentait tourmenté du désir de produire et de se faire un nom, fut obligé, comme son illustre compatriote Weber, de changer souvent de résidence pour chercher un port à sa destinée. Il se rendit tour à tour à Kœnigsberg, à Riga, d’où il conçut l’idée de venir tenter la fortune à Paris. M. Wagner a vécu dans cette grande ville deux années, de 1840 à 1842, luttant contre mille obstacles qu’il n’avait pas prévus. M. Richard Wagner a conservé de cette époque un souvenir très amer, qu’il fait volontiers retomber sur la France, qui n’a pas su deviner le génie inconnu d’un si grand compositeur. Après avoir essayé de tout pour vivre, réduisant des partitions, écrivant des articles de fantaisie pour la Gazette musicale, présentant une ouverture pour le Faust de Goethe à la Société des Concerts, qui ne voulut pas l’accepter, M. Wagner se trouvait dans la plus triste position, lorsqu’il reçut d’Allemagne une lettre qui lui annonçait que son opéra de Rienzi allait être représenté sur le théâtre de Dresde. Le succès de cet ouvrage valut à M. Wagner sa nomination de maître de chapelle du roi de Saxe. Depuis cette époque, M. Wagner a écrit successivement l’opéra du Vaisseau-fantôme en 1841, le Tannhauser, dont la première représentation a eu lieu sur le théâtre de Dresde le 20 octobre 1845, et le Lohengrin, qui fut terminé en 1847, mais dont les événemens politiques de 1848 empêchèrent la représentation. Ayant pris une part active à l’insurrection des habitans de Dresde contre le gouvernement du roi de Saxe, M. Wagner, qui fut obligé de fuir, trouva un asile dans la maison hospitalière de M. Liszt, à Weimar. M. Wagner s’est réfugié depuis dans la ville de Zurich en Suisse, où il est resté jusqu’en 1859, non sans faire de fréquentes excursions à Paris, dont il ambitionne depuis longtemps le suffrage. Indépendamment des ouvrages lyriques que nous venons de citer, et dont M. Wagner a écrit les poèmes et la musique, il a publié aussi trois petits volumes in-16, sous le titre Opéra et Drame, où il expose ses idées et juge ses contemporains, et puis un volume in-8o, qui renferme une autobiographie d’où nous avons tiré les détails qu’on vient de lire. M. Wagner a une physionomie très accentuée, un type allongé et tout allemand, où domine l’expression d’une volonté énergique. C’est, à ce qu’il semble, la faculté de l’esprit la plus exercée de notre temps.

Que veut M. Wagner, et que faut-il penser de son œuvre, qui excite des jugemens si divers ? M. Wagner prétend ramener la musique dramatique à la Vérité absolue de la nature, lui faire exprimer non-seulement les sentimens intimes et les passions dominantes des personnages qui apparaissent dans le drame choisi par le compositeur, mais il veut encore reproduire, par les moyens qui sont propres à la langue des sons, par les cent couleurs de l’orchestre et les combinaisons infinies de l’harmonie, la physionomie morale de la fable ainsi que les différentes péripéties de l’action, sans oublier les accidens de lumière et de paysage qui indiquent l’heure, l’époque et l’espace où s’accomplit l’événement. Il veut en un mot transformer l’opéra du passé,