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entre les deux principes hostiles aura été reculée du Tessin au Mincio, ou parce que, tandis qu’ils étaient autrefois séparés par les duchés de Parme et de Modène, ils se heurteront sur les bords de la Cattolica ? De même qu’il y a eu une émigration lombarde, n’y aura-t-il pas une émigration vénète ? Les points de contact considérablement accrus ne multiplieront-ils pas les occasions de chocs ? Là est le danger ; or, nous le demandons, que la Toscane soit séparée ou non du royaume de l’Italie supérieure, ce danger n’est-il pas le même ? Quant à nous donc comme Français, loin de faire espérer notre appui à l’Italie supérieure pour récompense de la séparation de la Toscane, nous aimerions mieux laisser faire l’annexion de cette province et en même temps prévenir loyalement le Piémont, ainsi agrandi et fortifié, que désormais il aurait seul la responsabilité et porterait seul les conséquences de ses entreprises. En laissant le Piémont devenir aussi puissant que les circonstances le lui permettent, nous aurions cru nous assurer davantage de sa prudence. Voyez si la Prusse que nous connaissons a la témérité agressive de la Prusse que voulait créer Frédéric II avant la conquête de la Silésie et le partage de la Pologne. Nous aurions pensé arriver plutôt ainsi à dégager la responsabilité de la France et à intéresser plus fortement à la stabilité et à la paix la prudence avisée de la Sardaigne.

Italiens, nous nous résignerions à la petite annexion ; Français, nous accepterions la grande : c’est dire que nous ne comprendrions pas qu’il pût s’élever un bien vif dissentiment entre le Piémont et notre gouvernement au sujet des communications qui viennent d’être expédiées de Paris à Turin. Au surplus, la France, elle aussi, a maintenant comme le Piémont des intérêts annexionistes. Nous avons fort inutilement, il est vrai, mais très sincèrement, exprimé nos objections contre l’annexion de la Savoie et du comté de Nice. Nous croyons qu’au point où la puissance française est arrivée, les extensions de territoire n’ont plus de force à lui donner, et peuvent au contraire lui être un affaiblissement moral, en troublant ses alliances, en excitant contre elle des défiances, en établissant des précédens qui peuvent être retournés contre ses intérêts par des ambitions rivales. C’est dans son organisme intérieur que réside la puissance d’un pays tel que le nôtre ; les progrès de l’agriculture, l’accroissement de la population, l’augmentation des revenus publics, sont de plus sûres et de plus fécondes conquêtes qu’une rectification de frontière. S’il nous était permis de recourir, en de telles matières, à un badinage philosophique, nous dirions que nous sommes des spiritualistes en politique, et que c’est en nous que nous voyons et que nous cherchons les ressorts de notre puissance, et nous déplorerions comme un matérialisme peu intelligent l’erreur de ceux qui croient travailler à notre grandeur en découpant un feston de la carte à notre profit. Quoi qu’il en soit, les matérialistes, paraît-il, l’emportent sur nous, et nous avons avec la Sardaigne des intérêts communs d’annexion. Pour résoudre ces questions d’annexion, nous pouvons avoir aussi un principe commun avec le Pié-