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agitations, les grandes rivalités dans la poursuite de la fortune ou du pouvoir sont le partage d’un petit nombre d’hommes qui ont à la fois l’avantage et le fardeau d’une position sociale privilégiée ; tous les autres sont voués à une vie humble, mais aussi plus calme, et les leçons de désintéressement, d’humilité, les grands remèdes, applicables seulement aux grands maux, sont pour eux parfaitement superflus : c’est d’enseignemens plus modestes qu’ils ont besoin, et le catéchisme, avec les dix commandemens de Dieu, renferme tout ce qui leur est utile pour la direction de la vie. Dans une société comme la notre, où tous les chemins sont ouverts à tous, soit vers la richesse, soit vers les honneurs, là aussi le plus grand nombre se trouve engagé dans la lutte des passions et des intérêts, et par conséquent exposé aux maladies de l’âme, dont cette lutte est ou le symptôme ou la cause même. Les préceptes de la philosophie morale trouvent donc aujourd’hui une application beaucoup plus étendue ; ils sont d’une nécessité beaucoup plus générale. La foule est grande en effet de ceux qui sont engagés dans la mêlée de la vie publique et qui se plaisent à en courir les vicissitudes. Ils ont libre carrière pour poursuivre les buts les plus divers, mais aussi ils ont à compter avec les hasards dont la route est semée, et, à côté de tant d’aspirations généreuses, combien peu de succès accomplis ! que de superbes élévations suivies de pénibles chutes ! que de reviremens du sort, et, jusque dans les fortunes les plus constantes, que de soucis et de labeurs pour éviter le danger de ces perpétuelles oscillations de notre société démocratique, où les établissemens en apparence les mieux assis s’écroulent plus vite encore qu’ils ne se sont formés !

Ce n’est donc point une pensée qui ne soit plus de saison que d’écrire sur les maladies morales et sur l’hygiène de l’âme. En homme qui a étudié l’antiquité, mais qui connaît aussi le présent, M. Foissac a parfaitement compris son sujet. Pénétré de Plutarque et de Cicéron, le plus moderne des anciens, il a su joindre aux préceptes puisés dans leurs écrits les maximes que les écrivains religieux des deux derniers siècles ont répandues sur tout ce qui touche à la discipline des consciences, ainsi que les leçons que peut inspirer le spectacle si varié et si instructif du temps présent. De nombreux appels faits à la biographie et à l’histoire donnent à son enseignement l’autorité de l’exemple. Malheureusement quelques-unes des maladies dont traite cet ouvrage sont bien près d’être incurables, et sont de celles dont pour la plupart les malades ne désirent pas être guéris. Quel est notamment l’ambitieux qui voudra sincèrement renoncer à l’ambition ? Il n’ignore pas toujours les biens qu’il sacrifie en perdant le repos de l’âme pour se livrer à l’ardente poursuite de l’objet de sa passion ; néanmoins la force des choses, lorsqu’elle devient plus puissante que sa volonté, peut seule le retenir ou l’arrêter, et alors même combien il est rare qu’elle ait le pouvoir de lui faire reconnaître et accepter sa défaite ! Il ne cède qu’en faisant vœu de ne laisser aucune occasion de ressaisir la fortune et de recommencer l’expérience infructueuse. Son principal bonheur est dans l’agitation même qu’il se donne à défaut de la joie du succès, et il n’échangerait pas ses fatigues, et ses tourmens d’esprit pour toutes les satisfactions paisibles d’une vie obscure et retirée. Notre moraliste nous rappelle le cardinal d’Amboise près de mourir, disant au religieux qui le servait : « Frère Jean, je voudrais bien avoir été toute ma vie le frère Jean ! » Il cite de même les paroles de Colbert