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de mémoires n’ont guère l’habitude de porter témoignage contre eux-mêmes ; mais nous savons à quel point le cardinal était soupçonneux, et il ne connaissait pas encore à fond Mazarin : il ne croyait qu’à son esprit et à sa capacité. Lui-même nous apprend qu’il exigea du secrétaire de la légation pontificale[1] une relation détaillée de tout ce qu’il avait fait depuis un mois, comme une preuve des efforts sincères de la France en faveur de la paix, et aussi des artifices de l’Autriche et de l’Espagne pour l’éluder en la promettant toujours. Cette relation fut écrite par Mazarin et signée de sa main le 3 août à Saint-Jean-de-Maurienne ; mais, en acceptant la suprême négociation dont le cardinal le chargeait, Mazarin s’expliqua nettement sur la condition impérieuse du succès[2]. Il fit connaître l’inflexible résolution de Spinola. Le vieux guerrier rougissait d’avoir moins fait que les généraux de l’empire, et il voulait quelque éclatant avantage qui le relevât aux yeux de l’Europe et de l’Espagne. Il était donc décidé à livrer l’assaut à Casal et à faire voir au monde qu’il était toujours le vainqueur de Breda et d’Ostende, ou bien il demandait qu’on lui remît Casal entre les mains, ne fût-ce que pour quinze jours, l’engageant à faire ensuite la paix ou à restituer la place, et offrant en otage, comme garantie de sa parole, son fils don Philippe. Mazarin établit aisément qu’il était impossible de refuser cette satisfaction à l’honneur de Spinola, et qu’elle était sans aucun danger pour la France[3]. En acceptant la proposition de l’illustre général, on gagnait du temps, les quinze ou vingt jours que demandait le cardinal pour être prêt à rentrer en campagne, et on finissait par obtenir ou la paix ou la restitution de Casal. On ne hasardait donc rien, tandis qu’en repoussant la proposition on perdait tout, Toiras déclarant qu’il ne pouvait tenir plus longtemps, et l’armée française du Piémont étant incapable de le secourir. Richelieu était trop éclairé pour ne pas se rendre à de pareilles raisons. Il fut donc entendu que Toiras remettrait Casal en dépôt, entre les mains de Spinola, qui à son tour s’engageait à rendre la place au bout d’un certain temps, si alors la paix n’était pas signée.

  1. Nous n’avons pas plus trouvé parmi les papiers de Richelieu aux archives des affaires étrangères cette relation que la première ; mais Richelieu nous en donne un extrait, t. VI, p. 232, etc.
  2. Richelieu prétend que Mazarin mit par écrit son avis assez confusément ; mais rien de moins confus que la plupart de ses motifs : nous n’avons fait que les résumer. — Mémoires, t. VI, p. 234 et suiv.
  3. Un écrivain piémontais du XVIIe siècle, historiographe de la maison de Savoie, l’abbé don Valeriano Castiglione, dans une histoire inédite de Victor-Amédée Ier, qui se trouve aux archives de la cour à Turin, et dont M. le comte Sclopis a bien voulu nous communiquer de curieux fragmens, prétend que la proposition de Spinola, que Mazarin apporta à Richelieu et qu’il lui fit accepter, était l’œuvre de Mazarin lui-même : « Combinò modo il Mazarini di mezzana soddisfatione alla riputationc degli Spagnuoli senza gran pregiudizio di quella de’ Francesi. »