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colonnes, dont l’une suivait le pied de l’Atlas dans toute la longueur de la plaine : celle-ci était sous les ordres du général Duvivier[1], grande et sévère figure militaire, empreinte dans sa dignité hautaine de je ne sais quel ascétisme monastique. La seconde, sous les ordres du maréchal gouverneur, prit le milieu de la plaine ; la cavalerie de France marchait avec elle. La troisième, partie de Coléah, longea le Sahel. Le général Lamoricière commandait cette colonne. Le jeune et vaillant Marceau revivait dans ce chef illustre. Tout semblait sourire au brillant officier, et rien ne présageait alors les tristes vicissitudes au milieu desquelles devait se poursuivre sa carrière.

D’Alger à Cherchell, on compte environ trente lieues. Les Hadjoutes, tribu guerrière et les plus hardis cavaliers que posséda jamais l’Afrique, habitaient la partie de la plaine qui s’étend depuis la Chiffa jusqu’à l’extrémité de celle dite de la Mitidja, et dont la surface mesure près de dix lieues de l’est à l’ouest. Dans sa largeur, elle peut avoir aussi neuf ou dix lieues du nord au sud. Placés au centre avec la colonne du maréchal, nous pouvions apercevoir la marche des deux autres colonnes par le feu qu’elles mettaient aux tentes des tribus de ces Hadjoutes. La plaine était une mer de flammes. Nous marchâmes ainsi pendant deux jours, brûlant et dévastant tout, nous arrêtant chaque nuit pour prendre nos bivouacs. Une pluie continuelle rendait affreux les chemins, qui étaient coupés de ravins et de torrens. Les Arabes, toujours bien prévenus par leurs éclaireurs, qui sont les premiers du monde, fuyaient comme des Parthes, ne laissant entre nos mains que les bœufs et les moutons qui ne pouvaient suivre leur émigration ; cette ressource suffisait à peine à nos besoins. Le troisième jour au soir, les trois colonnes réunies atteignirent les confins de la plaine, et l’on s’arrêta devant une espèce de vieux château romain, appelé Bordj-el-Arba. L’armée se trouvait concentrée dans les mains du vieux maréchal.

Pendant toute cette marche, depuis le camp de Blidah jusqu’à Bordj-el-Arba, aucune manœuvre ne fut exécutée, soit pour attirer les Arabes, soit pour se retourner contre eux. Le maréchal gouverneur, officier d’artillerie ai distingué, marchait comme un boulet qui sort de la gueule d’une pièce, toujours droit devant lui. La cavalerie de France, massée, comme un troupeau de moutons, au milieu du convoi, ne fut pas même employée à couvrir et à protéger nos flancs. C’était à notre vaillante infanterie, 2e, 17e léger, 23e, 24e de ligne, numéros devenus si illustres, qu’appartenait le soin d’écarter les moucherons qui voltigeaient autour de la colonne, en les harcelant

  1. Tué dans les journées néfastes de juin 1848 par une balle française.