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officier cherchait le danger partout où il pouvait le trouver, et je me rappelle son désespoir à Inkerman, lorsqu’il sut que l’on se battait aussi avec fureur aux tranchées pendant qu’une lutte non moins chaude était engagée sur les collines. Il aurait voulu en quelque sorte se dédoubler, se trouver le même jour, à la même heure, aux deux batailles.

Le combat du 31 décembre 1854, sans avoir la même importance que celui de Balaclava, a montré la supériorité de la cavalerie régulière française sur les irréguliers russes. Le 31 décembre, le général Canrobert ordonna une reconnaissance dans la direction de la vallée de Baïdar. Le général Morris en avait le commandement avec onze escadrons de cavalerie. Le temps était exceptionnel, un soleil radieux faisait scintiller les casques de nos dragons. Le 1er chasseurs d’Afrique, avec le général d’Allonville, était en tête. À l’entrée d’un petit bois, trois cents Cosaques du Don voulurent nous disputer l’entrée d’une gorge assez étroite. Le taillis était peu élevé ; on pouvait s’y sabrer à l’aise. Les trois cents Cosaques se mirent en ligne et nous attendirent. Au commandement de leur colonel de Ferrabouc[1], nos braves chasseurs mettent le sabre à la main, et les voilà partis sur les Cosaques, à la mode d’Afrique, un peu en fourrageurs. Les Cosaques leur envoyèrent une volée de coups de carabine qui ne les arrêta pas, et, bientôt abordés, ils se mirent en retraite. C’étaient de vaillans soldats que ces Cosaques, il faut leur rendre justice ; ils se battaient à merveille, tout en se débarrassant de leurs lances, qui probablement les gênaient, et ils firent, bien qu’après avoir été brossés, une petite retraite fort gaillarde, en nous tuant et nous blessant assez de monde. Je ne puis omettre un trait de bravoure de l’un de ces irréguliers. Les Cosaques étaient en pleine retraite, et, poussés par nos chasseurs hors du petit bois, ils cherchaient à regagner, sur leur droite et un peu en arrière, de petites collines où probablement ils avaient du renfort et quelque artillerie volante. J’aperçus un Cosaque démonté, qui, cherchant à gravir à pied une de ces hauteurs, avait été arrêté dans sa course. Cinq chasseurs l’entouraient ; il tenait sa lance d’une main et un pistolet de l’autre. Je le vis luttant au milieu de ses cinq adversaires, qui lui lâchèrent leurs coups de fusil sans l’atteindre. Il tua l’un d’eux, en blessa un autre, et se sauva à toutes jambes du côté des Russes, qui venaient à son secours. Les trois autres chasseurs, à cette vue, s’arrêtèrent ; l’intrépide Cosaque paraissait blessé, car il avait de la peine à passer un petit fossé ; ses camarades l’enlevèrent sur leurs chevaux et disparurent. Nous rentrâmes au camp avec

  1. Aujourd’hui général de brigade.