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appréciation n’est pas en désaccord avec l’expérience. Si vous laissez le combat se livrer entre les deux armes de l’infanterie et de l’artillerie, si vous laissez à cette dernière toute latitude de choisir ses positions, de s’y maintenir jusqu’à ce que l’infanterie vienne les enlever, certainement le rôle de la cavalerie s’efface devant une pareille incurie ; mais si vous donnez à la cavalerie son véritable rôle, qui est de harceler cette artillerie sans cesse, de l’empêcher de se mettre en batterie, de l’inquiéter même quand elle s’y trouve, alors le plus simple bon sens suffit pour indiquer l’utilité d’un pareil auxiliaire. À l’appui d’une cavalerie paralysant l’effet de l’artillerie en position, on pourrait trouver de nombreux exemples dans les grandes pages du règne de Louis XIV ; mais en des questions qui intéressent surtout notre temps, il vaut mieux ne citer que des faits contemporains. À Isly, la fougue de la cavalerie française fut telle que les Marocains, dont les canons défendaient l’approche des tentes, ne purent même les recharger. Admettons que les Marocains ne soient pas de très bons artilleurs : contestera-t-on l’habileté des artilleurs russes ? Eh bien ! à Balaclava, l’artillerie russe, placée sur des hauteurs à pentes très raides, soutenue par des bataillons d’infanterie, fut obligée, par l’impétuosité de la charge des chasseurs d’Afrique, de ratteler ses pièces et de se sauver au plus vite, et ne reparut plus de la journée. Que conclure de pareils faits ? C’est que plus les moyens de destruction seront multipliés et puissans, plus aussi la cavalerie deviendra utile. Ce raisonnement s’appuie sur une vertu qui honorera toujours les artilleurs : c’est qu’ils aiment mieux mourir sur leurs pièces que de les abandonner. Ne les voit-on pas souvent en effet dédaigner l’occasion qui s’offre à eux d’échapper à l’étreinte de l’ennemi et préférer la mort ? Des traits de ce genre ont encore été signalés à Solferino. Toute artillerie qui acceptera le combat pied à pied avec la cavalerie doit nécessairement tomber entre les mains d’une troupe hardie et manœuvrière.

Quoi qu’il en soit, il est bien démontré que notre cavalerie régulière ne le cède en rien à celle d’aucune grande puissance, à commencer par l’Angleterre. Un écrivain anglais, Thackwell, l’historien de la seconde guerre des Sikhs, avoue lui-même qu’à la bataille de Chillianwalla dans l’Inde, la cavalerie anglaise fut inférieure à celle des peuplades qu’elle combattait. On doit reconnaître cependant qu’en Crimée la cavalerie anglaise a montré, sinon un heureux esprit d’initiative, du moins une incontestable bravoure. La Russie ne peut nous opposer qu’une cavalerie irrégulière, dont l’affaire du 31 décembre 1854 et le combat de Koughil ont établi l’infériorité. La Prusse a des corps bien exercés sans doute, mais auxquels manque l’indispensable expérience de la guerre. Reste l’Autriche, qui a une belle et