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phénomène de l’illumination, si remarquable dans les Alpes, se reproduit sur ces montagnes dans toute sa splendeur. Quand les rayons du soleil levant apparaissent au-dessus des cimes de la Sierra-Negra et vont frapper les crêtes opposées, ils dessinent d’abord dans le ciel comme une immense voûte lumineuse, puis allument çà et là des phares étincelans sur les pics de la Nevada ; par degrés, la lumière ruisselle sur les flancs des sommets comme un immense incendie, enveloppe la montagne entière dans son manteau de feu, et, se répandant enfin dans la plaine, change en d’innombrables diamans les gouttes de rosée et l’eau scintillante des torrens.

Un planteur de Villanueva, M. Dangon, à qui j’avais été spécialement recommandé, est le type de ces colons intrépides qui font à eux seuls pour le développement des ressources d’un pays plus que dix mille émigrans éparpillant leurs forces et travaillant au hasard. Comme tant d’autres, il avait à son arrivée sur le sol d’Amérique tâtonné à la recherche de sa destinée : il s’était fait menuisier, maçon, marchand de cotonnades, traitant ; mais la fortune ne l’avait pas favorisé dans ces diverses professions. Alors il avait pensé à l’agriculture, et, empruntant 8,000 francs à 24 pour 100 par an, il s’était mis hardiment à la besogne. En six ans, il avait payé le capital et l’intérêt, mis en culture quatre-vingts hectares de terrains, planté plus de cent mille pieds de café, et il possédait un revenu annuel égal à son premier emprunt. Ce qu’il a fait pour lui-même est peu de chose comparé à l’impulsion qu’il a donnée au pays entier. Il a ouvert de larges chemins, construit des ponts, creusé des aqueducs, importé des plantes alimentaires inconnues dans le pays, bâti de jolies maisons qui donnent aux habitans de la plaine l’idée du comfort. Déjà une douzaine de caballeros de Villanueva, d’Urumita et de Valle-Dupar qui, avant l’arrivée de M. Dangon, n’avaient d’autre occupation que de fumer élégamment le cigare, ont fait défricher d’autres parties de la Sierra-Negra, et plus de six cent mille pieds de café produisant, bon an, mal an, plus de trois cent mille kilogrammes de baies, sont en plein rapport. En six ans, voilà ce qu’a su faire par son énergie un simple étranger obéré, dès le premier jour de son travail, par le taux usuraire auquel il avait emprunté. Combien médiocre en comparaison est l’influence de son prêteur, riche commerçant cinq fois millionnaire, qui possède dans la Sierra-Negra plusieurs lieues carrées d’un terrain très fertile et des mines de cuivre d’une telle richesse que de plusieurs lieues on en voit sur le flanc de la montagne les veines irisées de vert et d’azur ! Malgré tous ces élémens de colonisation et la fortune dont il dispose, le riche propriétaire n’a su encore tirer aucun parti de son