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de Vauban, inspiré bien des écrivains ; cependant ne leur a-t-elle jamais fait dire que la vérité ? Si les bons travaux de statistique sont rares parce qu’ils sont difficiles, les travaux médiocres, étant d’une exécution peu compliquée, doivent être et sont en effet beaucoup plus nombreux. On emprunte aveuglément aux administrations publiques les comptes qu’elles rendent, aux recherches des savans les résultats numériques qu’ils professent, aux compagnies financières ou industrielles les chiffres qu’elles annoncent. On groupe d’une certaine manière, sans ordre ou conformément à la thèse qu’il s’agit de soutenir, ces documens de diverse origine. Au besoin, on additionne soi-même quelques nombres empruntés à des actes ou à des rapports officiels ; on allonge le tout par quelques phrases d’une rhétorique plus ou moins élégante, par des considérations plus ou moins neuves et profondes,… et on fait ainsi un livre d’économie industrielle ou sociale, dont l’enfantement est commode et dont la vente réussit parfois assez bien. Cette sorte de prestidigitation n’a pas d’excuse, mais l’abus même qu’on en fait prouve l’influence considérable que les chiffres ont aujourd’hui sur la plupart des lecteurs, et, quoique revêtant à tort la livrée de la statistique, elle ne doit pas être confondue avec celle-ci, qui reste toujours une science aussi sérieuse et importante qu’elle est d’accès difficile.

Les recherches que nécessite une statistique quelconque sont si minutieuses et si multiples que peu de personnes pourraient suffire à un travail de ce genre. Aussi la plupart des documens qui existent, et qui servent de base aux études ultérieures des savans, sont-ils mis au jour par nos administrations publiques. Chacune observe, constate ce qui la concerne, et, dans le compte-rendu de ses opérations, résume et divulgue les faits ainsi précisés par elle. Puis vient le tour des économistes, des statisticiens, des moralistes et des hommes d’état, qui s’empressent de discuter et de conclure. Il serait à désirer sans doute que plus d’accord existât entre les divers bureaux qui, chacun dans une direction différente, s’occupent d’un sujet analogue[1]. Ainsi, par exemple, les résultats fournis par le ministère de la justice et par le ministère de la guerre, en ce qui concerne les accusés et les conscrits, ne peuvent se contrôler, se fortifier mutuellement que quand les classifications adoptées sont les mêmes, au lieu de différer. Cependant ces regrettables bizarreries laissent encore une notable autorité aux documens dont il s’agit. La justice nous précise combien de malfaiteurs elle a condamnés, la douane combien elle a vu passer de marchandises. Je suis loin de croire que tous les méfaits et que tous les malfaiteurs soient punis, je suis convaincu que les marchandises qui entrent et qui sortent ne sont pas toutes scrupuleusement déclarées au bureau le plus voisin ; mais si

  1. Dans le Rapport au roi sur les caisses d’épargne, le ministre disait en 1836 : « Quant à Toulon, par une singularité difficile à expliquer, la caisse d’épargne de cette ville n’aurait ouvert aucun livret pour les marins. » L’institution de la caisse d’épargne remontait pour Toulon à 1832. On finit par découvrir que les marins et les militaires avaient été portés dans la colonne des employés du gouvernement.