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un mot, telle que la monarchie française n’en a pas encore possédé. Je revois mon pays après cinq ans d’absence ; cette flotte a disparu, je ne retrouve plus ni les hommes, ni les choses. À la faveur d’une situation plus stable, une nouvelle flotte se forme ; elle met quinze ans à grandir. Survient une autre tempête qui la disperse. Cette fois une sombre lassitude semble avoir gagné tous les cœurs ; nous sommes sur le point d’abdiquer définitivement le rôle de puissance maritime. Nous reprenons cependant courage. L’étranger s’éloigne, les exilés et les vaincus se rapprochent. Nos finances suffisent à tout : elles soldent notre paix avec l’Europe, notre paix avec les compatriotes que nous avions dépouillés ; elles nous donnent même le moyen de refaire une marine, tant cette France est féconde, tant ses flancs généreux sont inépuisables ! Nous devions croire notre avenir à jamais assuré, quand une troisième, une quatrième crise, comme un fléau inévitable et périodique, viennent nous apporter encore des inquiétudes, encore des menaces. Pourtant notre marine surnage, mes derniers regards auront contemplé la seule flotte qui pût me rappeler celle que j’admirais au début de ma carrière. Croit-on que les incertitudes dont nous ne pouvions, on le comprendra, demeurer les témoins indifférens n’aient pas été de nature à paralyser souvent nos efforts ? Croit-on que nous n’eussions pas marché d’un pas plus ferme vers le but que nous voulions atteindre, si nous avions pu nous dire que, tant qu’il y aurait une France, il y. aurait une marine française ?

L’absence d’un programme nettement posé me paraît expliquer suffisamment les périlleuses expériences dont nous avons eu en trop d’occasions à souffrir. Dès qu’on sait où l’on veut arriver, on s’applique naturellement à ne pas faire de détours inutiles. Si au contraire on erre à l’aventure, on ne craint pas de changer à chaque instant de sentier. Ce qui nous a manqué, c’est donc l’intime conviction que nous ne pouvions pas vivre sans marine. Telles sont les difficiles conditions sous le poids desquelles chacun de nos gouvernemens a dû poursuivre depuis 1815 la réorganisation de notre puissance, maritime. La restauration, qui héritait d’une situation obérée, devait, avant tout, s’occuper d’introduire la plus stricte économie dans nos dépenses. Le gouvernement de juillet avait à rétablir dans la flotte les traditions militaires qu’une confiance trop prolongée dans la paix eût fini par mettre en péril. La mission du second empire était d’opérer dans le matériel naval les surprenantes transformations que les deux autres gouvernemens n’avaient pu que prévoir.

Fidèle à son rôle réparateur, la restauration sut prolonger indéfiniment la durée de ce matériel, dont le dépérissement rapide était un sujet incessant d’affliction pour les économistes. Au lieu de lancer