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par la pluie ; que l’églantier sauvage continue à fleurir dans les haies perdues pour l’ornement des ronces ; que le chèvrefeuille et la clématite grimpent le long des ruines et des demeures abandonnées pour couvrir au moins les nids de serpens qu’elles recèlent !…

La situation n’est pas gaie, comme vous voyez, et les perspectives qu’elle présente ne sont rien moins qu’agréables. Il faut cependant nous en contenter et passer du mieux possible cette saison maussade. Ne cessons pas un seul instant d’espérer. Ratissons et sablons nos allées, comme si les beaux jours étaient prochains ; réparons nos murs, relevons les pierres, ramassons les feuilles mortes, qui seraient un outrage pour les fleurs nouvelles ; reposons nos yeux sur les pointes de verdure qui percent la terre comme si elles étaient la promesse d’épais tapis de gazon.

Je ne sais si une nouvelle période commence, mais je ferais volontiers des vœux pour la prompte disparition d’une certaine épidémie littéraire. Rien ne pousse peut-être, mais certainement quelque chose persiste et dure encore. Ce quelque chose, c’est cette littérature acre, corrosive et maussade, qui a régné et gouverné durant les dernières années. Si son triomphe a été court, il a été complet ; elle aura poussé jusqu’au bout de la carrière son char triomphal avec une audace et une insolence sans égales. Elle aura connu en mourant toutes les voluptés du scandale, toutes les joies féroces de la haine, et savouré les plus délicats plaisirs du ressentiment et de la méchanceté. Elle pourra dire : « J’ai bien vécu, car j’ai fait tout le mal que j’ai pu. J’ai laissé sur le sol de ce grand pays, appauvri par les moissons magnifiques qu’il a portées, une certaine quantité d’engrais qui, dûment combinés avec l’humus, serviront peut-être à le renouveler, et qui en tout cas auront fourni une nourriture succulente et abondante aux insectes affamés. J’ai fait aussi beaucoup de bruit, j’ai semé à pleines mains les pamphlets, les libelles, les calomnies, les germes de haines et de rancunes. Je me rends devant Dieu cette justice que je n’ai rien respecté, ni l’honneur, ni la gloire, ni la vieillesse, pas même le mérite obscur et les existences ignorées. Pauvres et riches ont été égaux devant moi, car je sais que nous vivons dans un temps de démocratie. Ma parfaite indifférence sur les moyens n’a eu d’égale que mon habileté industrieuse ; j’ai voulu ne rien négliger : tout m’a été bon, une anecdote judiciaire, un cancan de salon, un commérage de portier, une vengeance de courtisane, la rancune d’un sot, le calembour d’un envieux. J’ai mélangé tous ces ingrédiens dans mon chaudron magique et j’en ai formé cette gelée suave, aux couleurs de boue et de sang caillé, que vous avez savourée avec délices dans ces dernières années. » Oui, aimable littérature, tous ces mérites, vous les possédez,