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impuissante à créer la vie. On n’enfante rien de grand sans naïveté et sans originalité ; M. Feydeau lui-même nous fournit dans une certaine mesure la preuve de cette vérité. Son dernier roman, Catherine d’Overmeire, dont le ton est beaucoup plus calme et je dirais volontiers plus impersonnel que celui de Fanny et de Daniel, est inférieur à ces deux romans. Il y a dans Fanny une certaine passion bizarre qui sauve le livre et le fait lire ; il y a dans Daniel une certaine fougue violente, laquelle rend quelquefois des accens et des cris qui sont bien contemporains de la musique de Verdi, et m’ont rappelé le miserere du Trovatore. Il y a donc dans ces deux livres une certaine personnalité qui les soutient en dépit des imitations et des calques de l’auteur. Dans Catherine d’Overmeire au contraire, on dirait que M. Feydeau a voulu se mettre davantage en dehors de lui-même. C’était une bonne pensée, et cependant le roman y a perdu au lieu d’y gagner. À cette turbulence bruyante qui distinguait ses aînés a succédé non le calme, mais l’atonie. On dirait un mélodrame représenté par des morts. Je vois des personnages placés dans des situations atroces, exceptionnellement dramatiques, qui passent, parlent, gesticulent avec violence, et cependant on dirait qu’ils ne sentent pas leur misère et que leurs douleurs les laissent indifférens. Ils ne se brûlent pas à la flamme de leurs passions, et de leur cœur brisé il ne s’échappe pas un accent qui aille à notre cœur. Ils parlent, et quelquefois longuement, mais nous ne retenons aucune de leurs paroles ; leurs discours restent froids, et cependant ils roulent sur des sujets affreux : la trahison, l’hypocrisie, le mensonge, la séduction. Le roman ne se relève réellement qu’à la quatrième partie, avec le personnage du jeune peintre Marcel, qui vient animer de sa verve ces douleurs terribles, et exprimer sous une forme parfois heureuse les sentimens qui semblent familiers à M. Feydeau. C’est le personnage vraiment humain du roman ; tous les autres peuvent se partager en deux catégories : mannequins dramatiques ou farouches bêtes fauves. Je ne raconterai pas la fable de ce roman, qui est simple et en même temps saisissante ; mais, avant de prendre congé de M. Feydeau, je lui adresserai une dernière observation. Il me semble que la donnée qu’il a choisie est plutôt une donnée de drame qu’une donnée de roman. L’action est forte, logique, et se déroule naturellement ; toutes les péripéties se déduisent les unes des autres comme les termes d’un syllogisme ; les caractères se présentent avec cette netteté, cette simplicité, ce relief extérieur, qui sont nécessaires au théâtre, ennemi de l’analyse et de la complication ; les mobiles qui font agir les personnages sont violens et faciles à saisir, doublement favorables par conséquent à l’action dramatique. M. Feydeau ne me semble point avoir assez réfléchi sur la forme qui convenait à la donnée qu’il avait trouvée.