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harmonies, l’autre l’Afrique avec sa luxuriante parure et son ciel de feu. Cette diversité d’exposition a déterminé la division administrative de l’île en deux arrondissemens, l’un du vent, l’autre sous-le-vent  ; elle exerce une sensible influence sur les produits naturels, les cultures, la santé, les habitudes et jusque sur le caractère et les idées des habitans[1].

La base volcanique du sol tantôt montre à nu son noir glacis, tantôt se brise en blocs rugueux et épars, le plus souvent se recouvre d’alluvions entraînées des montagnes par les pluies et enrichies d’humus par les détritus des végétaux. Ces matières fermentent au soleil du tropique avec une prodigieuse énergie. Le territoire est baigné par une multitude de ruisseaux et de rivières qui coulent des montagnes, comme d’une vasque d’où l’eau déborde, et sont utilisés comme forces motrices et comme moyens d’irrigation. Le palmiste, le dattier, le cocotier, avec leurs troncs élevés et leurs élégans panaches, le latanier avec ses éventails rayonnans, les spirales hérissées du vacoa donnent au paysage un aspect oriental. Les divers centres de population, composés de maisons qui se perdent au milieu des arbres, sont distribués tout autour de l’île à peu près régulièrement, comme les anneaux d’une chaîne. Les habitations avancent vers l’intérieur à mesure que s’étendent les cultures. De la base ellipsoïde de l’île, le terrain s’élève en un amphithéâtre dont les gradins sont séparés par des coupures ; les unes forment de sauvages et abrupts escarpemens, les autres s’élargissent en vallées et sont tapissées d’une riante végétation. Çà et là séparée de la mer par les savanes sèches et des sables, la zone inférieure, royaume de la canne à sucre, se déploie sur une largeur d’environ 6 kilomètres : ceinture verdoyante qui entoure la colonie entière, et recèle dans ses plis d’incalculables trésors. Au-dessus d’elle, la zone moyenne se pare de ces bouquets d’arbustes qui font de l’île, vue en pleine mer, une corbeille de fleurs et de fruits aux pénétrans arômes. Là sont bâties de charmantes retraites où mènent d’étroits et secrets sentiers, bordés de haies de jamrose, au sein d’une fraîche atmosphère, tandis que les sucreries de la zone inférieure sont livrées aux noirs tourbillons de fumée et à la fièvre industrielle. Plus haut enfin, un entablement de plateaux aux croupes ondulées sépare les versans de l’est et de l’ouest et les groupes montagneux du nord et

  1. A La Réunion, l’habitation est l’exploitation rurale ; l’habitant est le maître de cette exploitation ; le propriétaire est le rentier sans terres qui réside en ville ; le planteur, celui qui fait cultiver la canne sans la manipuler ; le sucrier ou usinier, celui qui exploite la sucrerie ; le géreur est le directeur de l’exploitation ; la bande, le groupe des travailleurs. — Nous ne suivrons pas très rigoureusement cette nomenclature toute locale.