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attendre tous les résultats de l’enquête sur l’immigration prescrite après la conclusion de cette affaire, le prince Napoléon, ministre de l’Algérie et des colonies en même temps que président de la commission d’enquête, suspendit tout recrutement aux îles et sur les côtes de l’Afrique orientale. Depuis lors, les colons s’ingénient à découvrir des travailleurs, et ils ne désespèrent pas de faire concourir à leurs desseins une mission catholique en voie de se fonder dans les états de Zanzibar. En attendant, ils s’accommodent, non sans murmurer, des maigres contingens qui leur arrivent de l’Inde. Un traité dont la négociation paraît fort avancée entre la France et l’Angleterre promet aux créoles de La Réunion toutes les facilités de recrutement conciliables avec l’intérêt public et les garanties dues aux travailleurs. S’ils sont réduits à ne plus compter que sur l’Inde, la conscience publique ne saurait s’en affliger. Dans les débats qui ont retenti en Europe au sujet de l’immigration africaine, des écrivains ont trop volontiers absous de tout reproche les opérations de recrutement. Pour ne parler que de l’aire d’action de La Réunion, quiconque est un peu au courant des faits n’ignore pas quels criminels attentats, vrais actes de piraterie, ont été commis dans les parages de Madagascar et de la côte orientale d’Afrique. Il est tel navire dont le capitaine a été traduit pour ces faits devant les tribunaux : qu’il ait été acquitté et même félicité par les applaudissemens du public, la vérité sur d’odieuses pratiques n’en a pas moins été connue. On sait à quoi s’en tenir, et sur la vigilance des autorités coloniales, et sur la loyauté des contrats, et sur le rôle des délégués, contre lesquels le gouverneur actuel a rendu un témoignage significatif dans un de ses arrêtés[1]. Ces faits ne sont pas détruits ni par le mandement de l’évêque de La Réunion, qui, tout préoccupé de prosélytisme catholique, n’a tenu aucun compte de la méthode employée pour s’emparer des néophytes, ni par le silence calculé de la presse locale. Le mieux qu’aient à faire les avocats de l’immigration africaine, — et pour notre part nous ne condamnons que l’excitation aux chasses d’hommes et l’emploi de la violence ou de la fraude, — c’est de confesser les iniquités passées en imaginant des moyens propres à en prévenir le retour. Le système actuel ne vaut rien.

Il est permis en outre de ne pas prendre trop à la lettre les plaintes des habitans contre le manque de travailleurs. Jugeant la situation avec la franchise d’un nouveau-venu et d’un Français non créole, M. le gouverneur Darricau a déclaré un jour aux colons que dans ses tournées il n’avait vu partout que surabondance et gaspillage de

  1. Le récent procès du Mascarenhas, accusé d’avoir sciemment introduit le choléra à l’île Bourbon, a confirmé par les preuves les plus authentiques tout ce qu’on savait déjà sur les graves abus qui accompagnent l’immigration africaine.