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qu’elle n’a pas encore reçu de solution pratique complète.

Les mortiers, dont nous n’avons que peu parlé, sont restés dans un état d’infériorité marquée relativement aux autres bouches à feu, et ils sont moins employés à mesure que les obusiers prennent plus d’importance. Le tir des mortiers offre en effet des causes spéciales d’incertitude, dont il ne paraît pas possible de les affranchir. Jusqu’à présent, ces pièces ont eu assez peu de longueur pour que les bombes pussent être placées à la main ; il faut donc augmenter beaucoup la quantité de poudre pour allonger la portée, qui ne dépasse pas un millier de mètres avec les charges ordinairement en usage. On a construit, à la vérité, des mortiers de formes particulières, portant à 4,000 mètres et au-delà, afin de répondre à des exigences spéciales ; mais il ne paraît pas que les résultats aient été bien satisfaisans. La force d’expansion de la poudre, dans cette bouche à feu, a pour effet d’élever la bombe à une grande hauteur, l’action de la pesanteur ralentit promptement la vitesse de translation, l’anéantit ensuite, et le projectile, parvenu au sommet de sa course, reste un moment incertain entre les deux forces qui le sollicitent ; il est pendant quelques instans livré sans défense à toutes les causes perturbatrices, et celles qui proviennent de sa rotation sur lui-même et de la résistance de l’air acquièrent parfois une très grande valeur. Aussi dans les écoles à peine une bombe sur deux mille atteint-elle, à la distance de 500 mètres, le tonneau qui sert de but, et qu’un boulet de gros calibre ne manquerait presque jamais. Cette incertitude du tir est très regrettée par les artilleurs, car les bombes, ayant un très grand poids (il s’élève à 72 kilog. pour la bombe de 32 centimètres), produisent, dans leur chute, des effets d’écrasement redoutables. Il faut qu’une construction ait des voûtes d’un mètre d’épaisseur pour résister, et on admet généralement qu’une seule bombe suffirait pour percer les trois ponts d’un vaisseau de ligne et l’exposer à couler sur place[1].

L’effet que peuvent produire les bombardemens est très controversé. Souvent l’on a essayé de réduire de haute lutte des places fortes par un bombardement, et malgré l’apparence effrayante de ce moyen de destruction, il est resté inefficace quand il s’est trouvé des hommes de tête et d’énergie pour diriger la défense. Peut-être n’en

  1. On a essayé au siège de la citadelle d’Anvers un mortier d’un calibre très supérieur à tous ceux employés jusqu’alors, car il pouvait jeter à 000 mètres des bombes de 500 kilog. Ses effets ont été puissans sans doute, mais ils n’ont pas semblé répondre aux difficultés de la manœuvre et à celles du transport des projectiles. On n’a pu lui faire tirer qu’un petit nombre de coups au siège, — quatre, croyons-nous, — et il s’est brisé peu de temps après dans un tir d’expérience. Les restes de ce mortier-monstre se voient encore à Bruxelles, près de la porte d’entrée du musée d’artillerie.