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l’activité du jeune capitaine ; il l’employa avec succès en diverses occasions, et Mazarin éclipsa peu à peu le sous-commissaire et le remplaça dans la confiance de Sacchetti. Il faisait tous les personnages, véritable Protée pour les manières et pour la langue, dit un de ses biographes[1], parlant espagnol avec les Espagnols, parlant français comme s’il l’avait su avec les Français, et agréant à tous par sa politesse et ses façons engageantes. Il semblait doué du mouvement universel[2] ; il était partout selon le besoin du service, à Turin, à Venise, à Milan, dans la Valteline. Chargé de plusieurs négociations auprès du duc de Feria, gouverneur du Milanais, il apprit à connaître la politique de l’Espagne, son ambition toujours la même quand sa puissance avait décliné, ses hauteurs à la fois et ses artifices. Dans la Valteline, il vit pour la première fois une armée française à la tête de laquelle était un chef digne de la commander, le futur maréchal d’Estrées, alors marquis de Cœuvres, aussi habile militaire que fin diplomate. Mazarin s’instruisit ainsi des différens intérêts engagés dans cette guerre. Il n’est donc pas étonnant que, s’entretenant un jour avec son général Torquato Conti, il lui parla si pertinemment de la situation des affaires, que celui-ci lui demanda de mettre par écrit ce qu’il venait de lui dire, et envoya ce mémoire à Rome, où l’on en fut très content.

Urbain VIII arrivait au trône pontifical[3], qu’il occupa plus de vingt années. Reconnaissant que la petite armée de Lombardie, sans être assez forte pour rien faire de grand, coûtait des sommes immenses, il prit le parti de la licencier, et le commissaire apostolique s’en revint à Rome avec le capitaine Mazarin. Quelque temps après, le cardinal Sacchetti ayant été nommé cardinal-légat à Ferrare, on lui donna pour commander les troupes de la province son frère François, qui ne manqua pas d’emmener avec lui le jeune et brillant officier qui venait de le si bien servir. La maison des deux frères devint en quelque sorte celle de Mazarin, et c’est lui qui, sous le nom de François Sacchetti, exerça véritablement l’autorité militaire dans le duché de Ferrare[4].

Mais cet obscur théâtre ne pouvait suffire au talent et à l’ambition de Mazarin. Il venait souvent à Rome, et, selon sa coutume, il cherchait à se produire auprès des puissans. Les puissans du jour étaient

  1. Benedetti, p. 14 : « Col trasformarsi, secondo il bisogno, quai Proteo, di abito e di lingua, coi Francesi in francese et coi Spagnuoli in spagnuolo. »
  2. Beucdetti, ibid. : « La sua ordinaria residenza era riposta in un continuo moto. »
  3. Le cardinal Maffeo Barberini fut élevé au saint-siège le 6 août 1623. Il mourut le 29 juillet 1644.
  4. Benedetti, p. 16 : « Giov. Francesco appoggiò la maggior parte di quella incumbenza alla esperimentata fede e habilità del Mazarini. »