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le voilà encore amoureux, non plus d’une morte, mais d’une jeune femme aux yeux bleus. « Si j’aime de nouveau, s’écrie-t-il, ce n’est pas que j’oublie la vierge morte. Il y a encore de la neige sur les cimes lorsque la fleur printanière s’épanouit au pied de la montagne. » Et pourquoi craindrait-il de nommer Etelka auprès de celle qu’il chantait naguère si pieusement ? Il aime aujourd’hui une Béatrice qui épurera son cœur et donnera des ailes à ses meilleures pensées. « Il n’a jamais aimé, dit-il, celui qui croit que l’amour est un esclavage, une lâche captivité. L’amour donne des ailes, l’amour donne la force et l’élan ; sur ces ailes de l’amour, je m’envole d’un seul trait bien au-delà du monde, dans le jardin des anges… » Ce n’est pas lui cependant qui oublierait la terre et les devoirs que l’homme y doit remplir. La mélancolie germanique n’est point son fait. Voyez quelle saine et vaillante humeur au milieu des transports de la passion !


« À bas, à bas de ma tête, ô souci, lourd casque, casque noir, qui m’étreint et me blesse ! Viens ; gaieté, léger et brillant shako, où flotte le panache faisant maints signes joyeux !

« Loin de moi, souci, lance pesante rivée au cœur de ton maître ! Viens, gaieté, gracieux bouquet de fleurs qui brille si bien sur ma poitrine !

« Loin de moi, souci, chevalet de l’enfer où le cœur se débat dans les souffrances du martyre ! Viens, gaieté, coussin de plumes de cygne où le cœur rêve si doucement au ciel !

« Viens, gaieté, joyeuse amie, viens, célébrons ensemble un jour de fête, un jour d’allégresse, tel que jamais encore nous n’en avons célébré de pareil.

« Viens, gaieté ; étends en riant les rayons de l’arc-en-ciel sur la tente azurée de l’espace. Fais retentir la musique de l’esprit : mon âme et mon cœur vont danser.

« Et si tu demandes, gaieté, ma mie, pourquoi une telle fête aujourd’hui, c’est qu’aujourd’hui je vais apprendre si ma bien-aimée m’aime, ou ne m’aime pas.

« Si nous revenons de chez ma bien-aimée sans rapporter son amour, je te renverrai de chez moi, gaieté, ma mie, et jamais plus je ne te reverrai.

« J’ai toujours, je l’avoue, redouté le moment qui s’apprête ici pour moi ; mais à présent que nous y sommes, la flamme éteinte de mon courage se ravive et s’élance.

« Honte au soldat qui marche lâchement à la bataille, le cœur serré d’angoisses ! En avant donc ! au combat ! et courons-y joyeux, dispos ; il s’agit de vie et de mort ! »


Le recueil intitulé Perles d’amour, auquel j’emprunte ces strophes, appartient, comme les Feuilles de cyprès, comme le Héros János, à l’année 1845. À la même période se rattachent quelques-unes des inspirations les plus originales de Petoefi, ses tableaux si