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qui occupaient un des côtés de l’enceinte fortifiée. Une double ligne de chariots formait, tant bien que mal, le chemin couvert par lequel on s’y glissait. L’ennemi n’essaya jamais d’y tenir ; les hourrahs anglais et les baïonnettes anglaises effarouchaient ces Hindous si fermes devant la torture, si timides dans la lutte armée. Par deux fois la nuit, à la tête d’une vingtaine d’Européens, le capitaine Moore alla impunément enclouer les canons dont le feu gênait le plus les assiégés ; mais ces canons étaient bientôt remplacés, et, grâce aux munitions inépuisables du magasin[1], le feu des assiégeans continuait sans relâche, et les assiégés au contraire, dont les approvisionnemens militaires diminuaient rapidement, ne pouvaient plus riposter qu’à bon escient et lorsque la nécessité les y forçait. Chaque jour leur position devenait plus intolérable. Jusqu’au 14 juin, ils avaient espéré quelque secours, soit de Lucknow, soit d’Allahabad ; mais à Lucknow sir Henri Lawrence, complètement cerné, ne pouvait même plus communiquer par lettres avec sir Hugh Wheeler, et le colonel Neill, arrivé le 11 juin seulement dans le fort d’Allahabad, n’avait encore le 18, quand il reprit si audacieusement l’offensive, que trois cent soixante combattans européens à mettre en ligne. Le 24 à la vérité, l’ordre, pu ce qu’on pouvait alors appeler de ce nom, était à peu près rétabli : les pendaisons se succédaient sans fin ni trêve, — the gallows were well at work, dit tranquillement un des historiens de cette crise[2] ; — mais au moment où Neill songeait à marcher, quelques jours plus tard, au secours de Cawnpore, son remplacement par Havelock était venu paralyser ses mouvemens. Ce fut le 30 juin seulement, le jour même où Havelock prenait possession de son commandement, qu’une colonne d’avant-garde, sous les ordres du major Renaud, put se mettre en route pour aller délivrer sir Hugh Wheeler… Il était trop tard.

Six jours auparavant, le 24, dans l’après-midi, une lettre de Nana-Sahib, apportée par une de ses prisonnières[3], offrait une capitulation à sir Hugh Wheeler. Les termes en étaient simples. Les voici textuellement : « Tous soldats ou autres individus qui n’ont point été mêlés aux œuvres de lord Dalhousie[4], et qui mettront bas les

  1. Il y avait au moment de l’insurrection, umarrée sur le Gange, au pied du magasine, une flottille entière, — cinquante-quatre bateaux, — chargée de boulets, de bombes, etc., laquelle tomba naturellement au, pouvoir de Nana-Sahib.
  2. The Mutinu of the Bengal Army, p ; 121. — Supposons (ce qui est après tout possible) que Nana-Sahib ait su ce qui se passait à Allahabad du 18 au 24 juin : croit-on que les crimes dont lui ou ses soldats se rendirent coupables quelques jours après n’en seraient pas atténués dans une certaine mesure ?
  3. Mistress Greenway, femme d’un négociant établi à Cawnpore.
  4. Les griefs personnels du Nana contre l’ex-gouverneur-général de l’Inde étaient : 1° le refus de reconnaître au fils adoptif du peslwah un droit héréditaire sur la principauté de Poonah ; 2° une mesure financière qui avait converti en 4 pour 100 l’intérêt, primitivement à 5, d’un emprunt dans lequel Nana-Sahib avait pris une forte part.