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sains et saufs, pour Allahabad, tous les individus compris dans la capitulation. Ceci fut écrit, signé, scellé par les deux chargés de pouvoirs, et ratifié de plus par Nana-Sahib, avec un serment solennel, le tout dans la journée du 25 juin 1857. Le 26 au matin, une commission d’officiers sortit du « retranchement » pour aller examiner les barques proposées. Elles étaient au nombre de trente, parfaitement en état et dûment équipées. Tout fut préparé pour le départ du lendemain.

L’évacuation du « retranchement » eut lieu à sept heures du matin. Les soldats anglais (plus de cent avaient péri pendant le siège) emportaient leurs fusils et leurs gibernes garnies. L’armée entière du Nana était sous les armes et formait l’escorte. On arriva aux bords du fleuve sans qu’aucun symptôme alarmant se fût produit. Les Anglais prirent place dans les barques, au fond desquelles leurs fusils furent couchés. Quelques-unes de ces embarcations se détachèrent même du rivage et commencèrent à nager… Tout à coup, au signal de Nana-Sahib, deux pièces de canon, jusqu’alors masquées par un bouquet d’arbres, arrivèrent au grand trot. Les cabines des barques, recouvertes en chaume, flambèrent en même temps ; les bateliers, qui venaient d’y mettre le feu, sautèrent sur le rivage. La fusillade éclatait de toutes parts. Des malheureux ainsi attaqués à l’improviste, les uns tombaient sous les balles, les autres cherchaient la mort dans les flots ; d’autres enfin, revenant au rivage, se rendaient et demandaient merci[1].

Sur les trente barques cependant deux étaient parvenues au milieu du courant. L’une d’elles fut bientôt coulée bas par les boulets. Une partie des hommes qui la montaient put passer à bord de celle qui voguait en avant. Une centaine de fugitifs s’y trouvèrent entassés. Ils descendaient le fleuve, suivis sur les deux bords par les cipayes du Nana, qui ne cessèrent de tirer sur eux. À une distance d’environ six milles, cette barque s’engrava sur un banc de sable. Les passagers se tinrent immobiles, attendirent la nuit, et parvinrent alors à la dégager. Huit milles plus bas, à Mussapghur,

  1. Sir Hugh Wheeler, déjà grièvement blessé à la jambe (si l’on en croit la première note officielle insérée par ordre de lord Canning dans les journaux de Calcutta), l’était-il mortellement ? Périt-il dans ce tumulte ? Fut-il massacré de sang-froid par les ordres du Nana ? Aucun des récits que nous avons sous les yeux ne résout ces questions, et cependant ils analysent le récit de l’ayah (nourrice) attachée à la famille de sir Hugh Wheeler, celui du cipaye Nunjour Tewarree, que ses tendances anglophiles avaient fait emprisonner avec les Européens captifs à Cawnpore, celui du brave lieutenant Delafosse, celui de M. Shepherd, etc. L’ayah, pressée de questions, finit par dire à M. William Russell « qu’on avait coupé la tête de sir Hugh au moment où il se penchait hors de son dooly ; » mais le journaliste expérimenté ne parait pas avoir regardé ce renseignement comme très digne de foi.