desseins prochains de la France. C’est le sort et, nous pouvons le dire sans outrecuidance, la gloire de notre pays de donner l’impulsion au geste de l’Europe. Soit pour nous imiter, soit pour nous résister, le continent a toujours les yeux sur nous ; que nous entraînions les peuples à notre suite par l’influence de notre propagande, ou que nous les provoquions à la lutte par la hardiesse de nos entreprises, c’est toujours nous qui leur donnons le signal de la conduite qu’ils vont tenir. Supposez que la France laisse entrevoir la pensée que l’état territorial actuel de l’Europe n’est point stable à ses yeux, qu’elle regarde comme possible et désirable une nouvelle distribution des nationalités et un déplacement de frontières : toutes les aspirations nationales seront en fermentation, tous les cabinets seront en émoi, les préparatifs militaires absorberont tous les soins et toutes les ressources. Supposez que la France, avec cette ardeur qui l’emporte parfois tout entière d’un seul côté, entrât dans la réalisation de la politique commerciale qu’elle vient d’inaugurer, il n’y aurait plus à l’ordre du jour de l’Europe que les réformes économiques : prohibitions abolies, tarifs abaissés, traités de commerce négociés. Le mot d’ordre universel serait la devise des économistes : acheter sur le marché le moins cher et vendre sur le plus cher. Supposez que la France, prenant en pitié ses finances et celles des autres peuples, se résolût à réduire de cent ou cent cinquante mille hommes le chiffre de son armée, aussitôt nous verrions cesser chez nos voisins cette extravagance des armemens de guerre en temps de paix, où se consument improductivement tant de ressources au détriment du bien-être et de l’amélioration sociale des masses ; la France deviendrait à l’instant le marché des capitaux et le centre initiateur de l’industrie de l’Europe : au grand profit de sa richesse et de son influence, elle achèverait ses chemins de fer et ceux des contrées où manquent encore les voies de communication perfectionnées. Supposez même que la France voulût reprendre cette série d’efforts qu’elle a faits par intermittence depuis 1789 pour fonder chez elle la liberté politique, qu’elle donnât au monde le gage de paix le plus solide et l’exemple le plus généreux en travaillant au progrès libéral de ses institutions : qui oserait douter du retentissement soudain qu’une telle résolution aurait partout ? Les pays constitutionnels se sentiraient raffermis dans leur voie ; ils jouiraient, dans sa plénitude, de l’ascendant moral que leur donne la supériorité de leur organisation politique. Une prompte émancipation relèverait les pays encore soumis au despotisme : l’Autriche ne pourrait plus marchander à la Hongrie la restitution de ses libertés séculaires, la Russie rougirait d’avoir tant ajourné l’affranchissement de ses serfs, et le roi de Naples ferait mieux encore peut-être que de songer si tardivement à nous emprunter notre constitution actuelle. Certes on ne peut accuser la France d’ignorer cette action qu’elle est appelée à exercer sur l’Europe, et qui compose la plus grande part de son existence politique et de son histoire. Nous lui reprocherions plutôt de traiter souvent sa mission avec frivolité, d’en avoir la
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