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quant de petits modèles et se creusant l’esprit avec une résolution héroïque.

Malheureusement son instruction n’était pas à la hauteur de son courage et de son intelligence. Il eût fallu avoir plus que des notions élémentaires des lois scientifiques qu’il prétendait deviner, et qui lui créaient à chaque instant des obstacles imprévus. Il espérait trouver la lumière dans les livres ; mais, outre qu’il n’en avait guère et qu’il ignorait s’ils étaient bons, ils étaient, à beaucoup d’égards, lettres closes pour lui. Il n’osait aller, à la ville haute, consulter d’anciens praticiens devenus savans : il avait peur de passer pour un fou d’un autre genre qu’Audebert, et que la chose, rapportée à Tonine, n’achevât de le déconsidérer dans son esprit.

Il s’était donné un mois pour aboutir. Le mois écoulé, il fut bien forcé de s’en accorder un second, et quand celui-ci fut passé sans qu’aucune certitude se fût révélée, une poignante douleur s’empara de lui. Il succombait à la fatigue, après avoir passé par toutes les alternatives de l’espérance, du doute et de la désillusion. Tout ce qu’il avait découvert, c’est qu’il ne savait rien. Il luttait avec acharnement contre la rigueur de l’hiver dans un logement détestable, au milieu d’un paysage sinistre et désolé, tantôt errant, la tête en feu, dans la neige, tantôt contemplant, avec un cœur glacé d’effroi, les vestiges mal effacés des paroles écrites au charbon par Audebert sur la muraille la nuit où cet infortuné avait été si près de se donner la mort. Ces paroles, en partie disparues, ne présentaient plus aucun sens à ceux qui ne les avaient jamais lues ; mais Sept-Épées les savait par cœur et croyait par momens les voir écrites en caractères de sang d’une épouvantable netteté.

C’est que la lutte qu’il soutenait pour la gloire était bien plus ardente et plus terrible que celle qu’il avait soutenue pour la fortune. Il ne s’agissait plus d’être riche pour Tonine : il avait pu échouer là sans honte ; il s’agissait de lui prouver une capacité sérieuse : échouer ici, c’était le désespoir.

Gaucher s’inquiétait de lui, et Tonine encore plus. Elle questionnait son cousin, qui plusieurs fois alla voir le solitaire du Creux-Perdu et le trouva sombre, refusant de s’expliquer. Un jour elle y alla elle-même avec Lise. Sept-Épées était précisément, ce jour-là, absorbé par un vague espoir de succès qui le rendait plus courageux et en même temps moins expansif que jamais. Il fut d’abord touché et surpris de la visite de Tonine ; mais comme, par pudeur et dignité, elle en mettait l’initiative sur le compte de Lise, il repoussa l’espérance avec cette sorte de spleen qui semble se complaire dans la douleur. Il affecta toutefois d’avoir l’esprit tranquille, et, aux questions qui lui furent faites sur l’état de ses affaires, il ré-