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sur leurs âmes, ils y courront comme à l’assaut, et la citadelle de la tribu ne tiendra pas devant leur ardeur intelligente plus longtemps que le Mamelon-Vert ou la butte de Solferino.

Laissons donc à l’armée la part qui lui revient naturellement, et qui ne convient qu’à elle seule. Son rôle, dit-on, est de conquérir, non de gouverner ; soit : eh bien ! c’est toujours une conquête et non encore un gouvernement dont il s’agit. Jusqu’ici, la conquête s’est arrêtée à la surface et n’a fait que courber les têtes : elle doit pénétrer aujourd’hui jusqu’au fond, dans la moelle des os et dans les âmes. Les mêmes qualités qui ont commencé le succès sont requises pour l’achever. Dans des proportions peut-être différentes, c’est toujours le même mélange de prudence et de force qui est nécessaire, la même union de ces dons heureux d’intelligence et d’audace dont l’armée française peut ouvrir à volonté l’inépuisable réservoir. Les limites de son domaine, la durée de son pouvoir, sont donc déterminées par la nature même de sa tâche. Partout où la tribu subsiste, l’administration militaire doit demeurer pour lui tenir tête, en travaillant à sa dissolution ; elle ne doit céder la place que là où elle peut laisser les Arabes fixés sur le sol et prêts à recevoir dans leurs rangs ouverts, avec l’infusion d’une population nouvelle, les élémens d’une nouvelle constitution sociale.

Seule capable de remplir ainsi la part principale qui incombe à l’état dans le développement de la colonie, l’armée suffit-elle également aux autres conditions moins importantes, mais essentielles pourtant, que nous avons énumérées ? Seule en mesure de débarrasser le sol d’Afrique des obstacles humains, si l’on ose ainsi parler, qui s’opposent à son peuplement, est-ce elle aussi qui peut faire disparaître, par de grands travaux publics, les obstacles matériels, et préparer à l’émigration du dehors un accueil propre à la retenir et l’attirer ? Sur ces deux points, malheureusement la réponse n’est point pareille, et une grave distinction se présente.

Les travaux publics en Algérie non-seulement peuvent être confiés à l’armée, mais ne peuvent guère être accomplis que par elle. En l’absence d’ouvriers civils, avec la cherté et la rareté de la main-d’œuvre européenne, les cinquante mille bras que l’armée compte, et qu’elle n’occupe, Dieu merci, qu’assez rarement, sont une ressource inappréciable et inépuisable à laquelle tout le monde, gouvernement et particuliers, ne cesse d’avoir recours. Il n’y a point de monument, point de travaux d’art, point de route, point de pont qui, depuis trente ans, n’aient été construits par des mains militaires. Il n’est point de faveur plus recherchée par les colons que l’auxiliaire des soldats pour leurs travaux, soit de bâtimens, soit de cultures. Et ce n’est pas une des moindres raisons de l’infériorité où les préfets des territoires civils sont restés jusqu’à présent vis-à-vis