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appelé, à des époques fixes, au sein du conseil des ministres à Paris pour y communiquer ses plans et y rendre compte de ses actes. Une fois qu’il aurait justifié de ses droits à la confiance et fait connaître la voie qu’il voudrait suivre, il y aurait tout avantage à la lui laisser parcourir à son gré, sans le gêner par un contrôle quotidien. Dans l’état présent des choses, la dépendance est partout en Algérie : chaque colon est assujetti, par mille règlemens entrelacés, à la volonté du fonctionnaire le plus voisin ; mais chaque fonctionnaire., même le plus élevé, ne peut agir qu’au gré de l’impulsion venue de Paris. Dans ces solitudes, où la liberté, ce semble, pourrait se jouer à son aise sans rien troubler, chacun obéit, même et surtout celui qui commande. C’est cette série, cette chaîne de servitude superposée que briserait avantageusement l’établissement d’une délégation du pouvoir souverain en Algérie. Un seul chef disposant avec liberté du pouvoir qui lui est remis, laissant au-dessous de lui une plus grande part de ce bien dont il jouirait lui-même, un tel chef, fût-il militaire, ferait faire plus de pas à l’Algérie que l’importation hâtive de ce moteur mécanique dont, sous le nom d’administration civile, trois siècles de servitude et vingt révolutions différentes ont établi parmi nous l’empiré absolu.

La difficulté, je le sais bien, serait de nommer parmi nous l’homme capable de remplir pleinement une telle tâche et de porter sans fléchir sur sa tête, dans la solitude et en face de l’inconnu, la responsabilité du pouvoir souverain. Pour y suffire en effet, ce ne serait point assez de posséder quelqu’une des qualités spéciales qui font l’administrateur, le soldat ou le magistrat ; il faudrait ce coup d’œil étendu et cette prévision de l’avenir, cette suite et cette largeur dans la pensée, cette supériorité d’esprit qui s’élève au-dessus du détail des affaires et cette souplesse qui sait pourtant y descendre au besoin, en un mot cet ensemble de dons heureux dont l’équilibre constitue l’homme d’état. À d’autres époques, pour trouver cette réunion de qualités toute préparée et à sa disposition, la France n’aurait eu qu’à regarder et même à choisir au-dessus d’elle et au pied du trône. Aujourd’hui encore d’autres nations ont le bonheur d’élever naturellement chez elles-mêmes une pépinière abondante de tels serviteurs ; elles les forment à l’école de ces fortes institutions de liberté qui font faire à tout homme, dès le début de sa vie et dans la sphère d’action la plus modeste et la plus humble, l’apprentissage de la responsabilité et des commandemens. C’est au Forum que Rome préparait ces proconsuls qui, après avoir commandé ses légions, se consacraient à organiser ses conquêtes, familiers avec le droit comme avec les armes, aptes à légiférer comme à combattre. C’est également du sein de ses assemblées politiques que l’Angleterre envoie chaque année à chacune de ses colonies des