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toises carrées où elle soignait ses pots de fleurs. Comme le sol en était encombré, Sept-Épées marcha avec précaution pour ne pas les heurter dans l’obscurité, et dans ce moment il entendit la voix de Lise qui prononçait son nom dans la chambre de Tonine. Il s’arrêta, curieux de savoir ce qui se disait là ; il s’assit sur la marche du seuil de cette chambre, se promettant de confesser son indiscrétion, mais ne pouvant résister au désir d’écouter. La porte était mince, il entendit tout.

Voici de quoi il était question. Tonine avait désiré savoir, avant de prendre aucun parti, si le jeune armurier était décidé à rechercher Mlle Trottin, et on avait consulté là-dessus le parrain, qui s’était avancé un peu plus qu’il ne fallait, tant il avait envie de voir son filleul établi dans la Ville-Noire, si bien qu’au moment où celui-ci accourait pour dire à Tonine qu’il n’aimait et ne souhaitait qu’elle. Lise venait de lui affirmer qu’elle pouvait très librement se décider pour le médecin.

Tonine était femme, et son légitime orgueil de citadine de la Ville-Noire était flatté de l’avenir honorable et relativement très brillant qui s’ouvrait devant elle. Elle était heureuse d’amener le secours d’un médecin instruit et dévoué à ses concitoyens, c’était même peut-être un devoir pour elle. Elle faisait déjà des projets, et Lise l’aidait à se monter la tête. Elle employait d’avance son modeste revenu en aumônes de tout genre, elle arrangeait aussi sa demeure avec goût et simplicité ; elle rêvait une maisonnette propre et bien aérée sur un des clairs bassins que formait la rivière au bas de la Ville-Noire, avec la vue des arbres et un petit jardin où elle pourrait cultiver des fleurs en pleine terre. Ses pauvres rosiers, martyrisés dans leurs pots de grès, se trouveraient bien heureux de pouvoir étendre enfin leurs racines. Enfant au milieu de sa grande sagesse, elle avouait à Lise qu’elle avait toujours songé à un camélia panaché de rose et de blanc, comme elle en avait vu dans le jardin de son beau-frère du temps que sa sœur était dame à la grande usine de la Barre-Molino. Puis elle ajoutait : — Ma pauvre sœur ! ça ne lui a pourtant guère profité de sortir de son état ! Elle était contente de se faire belle, et voulait me donner ses goûts et même me faire porter le chapeau. La chose ne m’allait pas du tout, et je ne voulus pas. Est-ce que tu crois, Lise, que mon mari exigera que j’en porte ? Cela me gênerait bien, et j’aurais peur de ressembler à Clarisse Trottin, qui a l’air d’une betterave dans du gazillon. — Là-dessus Tonine riait, bien décidée à ne pas porter de chapeaux, mais contente de se dire qu’elle aurait le droit d’en porter.

Cependant tout d’un coup elle cessa de rire. — Nous parlons, dit-elle, de tout ce qui est l’embellissement du mariage, mais on n’em-