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secouaient et l’illuminaient sans qu’il pût les prévoir, les arrêter ou les régler : il y voyait l’action d’une puissance surhumaine, et s’y livrait avec l’enthousiasme du délire et la raideur de la foi.

Pour comble, le fanatisme s’était changé en institution ; le sectaire avait noté tous les degrés de la transfiguration intérieure, réduit en théorie l’envahissement du rêve : il travaillait avec méthode à chasser la raison pour introniser l’extase. Fox en faisait l’histoire, Bunyan en donnait les règles, le parlement en offrait l’exemple, toutes les chaires en exaltaient la pratique. Des ouvriers, des soldats, des femmes en discouraient, y pénétraient, s’animaient par les détails de leur expérience et la publicité de leur émotion. Une nouvelle vie s’était déployée, qui avait flétri et proscrit l’ancienne. Tous les goûts temporels étaient supprimés, toutes les joies sensuelles étaient interdites ; l’homme spirituel restait seul debout sur les ruines du reste, et le cœur, exclu de toutes ses issues naturelles, ne pouvait plus regarder ni respirer que du côté de son funeste Dieu. Le puritain passait lentement dans les rues, les yeux au ciel, les traits tirés, jaunes et hagards, les cheveux ras, vêtu de brun ou de noir, sans ornemens, ne s’habillant que pour se couvrir. Si quelqu’un avait les joues pleines, il passait pour tiède[1]. Le corps entier, l’extérieur, jusqu’au ton de la voix, tout devait porter la marque de la pénitence et de la grâce. Le puritain discourait en paroles traînantes, d’un accent solennel, avec une sorte de nasillement, comme pour détruire la vivacité de la conversation et la mélodie de la voix naturelle. Ses entretiens remplis de citations bibliques, son style imité des prophètes, son nom et le nom de ses enfans, tirés de l’Écriture, témoignaient que sa pensée habitait le monde terrible des prophètes et des exterminateurs. Du dedans, la contagion avait gagné le dehors. Les alarmes de la conscience s’étaient changées en lois d’état. La rigidité personnelle était devenue une tyrannie publique. Le puritain avait proscrit le plaisir comme un ennemi, chez autrui aussi bien qu’en lui-même. Le parlement faisait fermer les maisons de jeu, les théâtres, et fouetter les acteurs à la queue d’une charrette ; les jurons étaient taxés ; les arbres de mai étaient coupés ; les ours, dont les combats amusaient le peuple, étaient tués ; le plâtre des maçons puritains rendait décentes les nudités des statues ; les belles fêtes poétiques étaient défendues. Des amendes et des punitions corporelles interdisaient même aux enfans « les jeux, les danses, les sonneries de cloches, les réjouissances, les régalades, les luttes, la chasse, » tous les exercices et tous les amusemens qui pouvaient profaner le dimanche. Les ornemens, les tableaux,

  1. Le colonel Hutchinson fut un instant suspect parce qu’il portait les cheveux longs et qu’il s’habillait bien.