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de lui qui lui nommait chaque carte. Sedley et Buckarst se déshabillaient pour courir les rues après minuit. Un autre, en plein jour, se mettait nu à la fenêtre pour haranguer la multitude. Je laisse dans Grammont les accouchemens des filles d’honneur et les goûts contre nature : il faut les montrer ou les cacher, et je n’ai pas le courage de les insinuer joliment à sa manière. Je finis par un récit de Pepys qui donnera la mesure. « Harry Killigrew m’a fait comprendre ce que c’est que cette société dont on a tant parlé récemment, et qui est désignée sous le nom de balleurs (ballers) . Elle s’est formée de quelques jeunes fous, au nombre desquels il figurait, et de lady Bennett (comtesse d’Arlington), avec ses dames de compagnie et ses femmes. On s’y livrait à tous les débordemens imaginables ; on y dansait à l’état de pure nature. » L’inconcevable, c’est que cette kermesse n’est point gaie : ils sont misanthropes et deviennent moroses ; ils citent Hobbes et l’ont pour maître. En effet, c’est la philosophie de Hobbes qui va donner de ce monde le dernier mot et le dernier trait.

Celui-ci est un de ces esprits puissans et limités qu’on nomme positifs, si fréquens en Angleterre, de la famille de Swift et de Bentham, efficaces et brutaux comme une machine d’acier. De là chez lui une méthode et un style d’une sécheresse et d’une vigueur extraordinaires, les plus capables de consolider et de détruire, et qui, par l’audace des dogmes, ont mis dans une lumière immortelle une des faces indestructibles de l’esprit humain. Dans chaque objet, dans chaque événement, il y a quelque fait primitif constant qui en est comme le noyau solide, autour duquel viennent se grouper les riches développemens qui l’achèvent. L’esprit positif s’abat du premier coup sur ce noyau, écrase l’éclatante végétation qui le recouvre, la disperse, l’anéantit, puis, concentrant sur lui tout l’effort de sa prise véhémente, le dégage, le soulève, le taille, et l’érigé en un lieu visible d’où il brillera désormais à tous et pour toujours comme un cristal. Tous les ornemens, toutes les émotions, sont exclus du style de Hobbes ; ce n’est qu’un amas de raisons et de faits serrés dans un petit espace, attachés entre eux par la déduction comme par des crampons de fer. Point de nuances, nul mot fin ou recherché. Il ne prend que les plus familiers de l’usage commun et durable ; depuis deux cents ans, il n’y en a pas douze chez lui qui aient vieilli ; il perce jusqu’au centre du sens radical, écarte l’écorce passagère et brillante, circonscrit la portion solide qui est la matière permanente de toute pensée et l’objet propre du sens commun. Partout pour affermir il retranche ; il atteint la solidité par les suppressions. De tous les liens qui unissent les idées, il n’en garde qu’un, le plus stable ; son style n’est qu’un raisonnement continu et de l’espèce la plus tenace, tout composé d’additions et de soustractions,