Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/238

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

jeune fille, effrayée de ce présage et troublée tout à coup par de funestes pressentimens, faites, ô Panagia, que mon espoir ne s’évanouisse pas comme cette faible lumière ! — Et, reprenant courage, elle attendit le soir avec une fiévreuse impatience.


« La nuit vint enfin ; Anna prit le chemin de l’antre prophétique. Un vent d’orage poussait rapidement de pesantes nuées qui voilaient toutes les lumières du ciel ; le tonnerre mêlait sa voix à celle du torrent d’Hercyne, qui coule sur le rocher. Ce soir-là, le démon des tempêtes s’était assis sur la cime du Parnasse. Dans la ville, le silence, un silence d’esclaves, régnait ; les chiens sauvages hurlaient dans la plaine. La jeune fille se hâte ; chaque ombre la fait trembler, elle frissonne au moindre bruit. Son imagination troublée prête la vie aux choses inanimées. Les rochers se meuvent derrière elle et la suivent comme de gigantesques fantômes, les arbres étendent leurs bras décharnés, comme pour lui montrer la route que le destin lui ordonne de suivre ; mais le souvenir de son père exalte son courage : elle arrive à l’entrée de la caverne redoutée où le dieu rendait jadis ses oracles. »


Cette sombre description laisse pressentir un malheur. En effet, c’est Antonelli lui-même qui a indiqué ce rendez-vous à la jeune fille, et quelques heures plus tard elle se trouve dans le pyrgos de Pétra, à la merci de son ravisseur. Cependant Phloros se met en campagne pour délivrer sa bien-aimée. Le poète aborde la description du camp de Phloros, devenu capitaine. Ce tableau est plein de vérité, et les figures des klephtes se détachent d’une manière frappante sur les contours harmonieux et doux du paysage au milieu duquel ils ont établi leur pittoresque bivouac.


« Des sources cristallines rafraîchissent les vertes forêts de l’Hélicon ; là, les oiseaux chantent, et le printemps règne éternellement… C’est la troisième aurore depuis le jour où la fille de Lampros a disparu de Livadie. Près d’une fontaine, des hommes armés sont assis. À leur fière attitude, à leur longue chevelure, à leur poitrine velue, à leur terrible regard, on voit bien qu’ils sont tous de ces hôtes vaillans des montagnes, hommes libres, effroi des Turcs. Les uns fourbissent leurs armes étincelantes, les autres attisent le feu devant lequel rôtissent des agneaux entiers. Le plus grand nombre prête une oreille attentive aux récits guerriers d’un vieillard ; d’autres groupes chantent, en regardant le ciel, la mort d’un frère ou d’un ami.

« Un seul, jeune, blond, de haute taille, se tient à l’écart, adossé au tronc d’un sapin touffu. Son visage pâle, sa tête tristement penchée sur sa poitrine, expriment éloquemment une douleur secrète. C’est Phloros. De temps à autre, son regard interroge le soleil, et mesure avec une sorte de colère la distance qui le sépare encore de l’horizon lointain du soir. Il semble reprocher à l’astre lumineux de mettre une lenteur inaccoutumée à parcourir sa carrière… Enfin le disque rougissant s’inclina vers le couchant, et ses derniers rayons envoyèrent des reflets pourprés sur les nuages roses et sur la neige des montagnes. Lorsque la nuit, mère du silence sacré, eut étendu