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égal service aux députés, à l’œuvre qu’ils sont chargés d’accomplir, en stimulant leur émulation et en donnant à leur patriotisme, à leur talent, à leur zèle, la récompense d’un applaudissement public ? La solution de ces questions si importantes à la vie politique et aux intérêts du pays dépend tout entière du sens qui doit être attaché aux mots « comptes-rendus des séances » employés par la constitution. L’appréciation des opinions consignées dans un document officiel peut-elle être assimilée à un compte-rendu ? Par sa pratique de huit années, la presse française a elle-même résolu cette question dans le sens le plus étroit, le plus défavorable à ses intérêts, à ses droits, à son développement, à son influence.

Que ne peut la frayeur sur l’esprit des mortels ? Malheureusement la frayeur n’est que trop permise à la presse française. D’un autre côté pourtant, le législateur de 1852 ne semble pas précisément avoir voulu aller sur ce point aussi loin dans la restriction de l’action de la presse. « La discussion loyale des actes du pouvoir, disait le ministre de la justice dans sa circulaire du 27 mars 1852, — l’examen consciencieux des matières soumises à l’élaboration politique du corps législatif, seront toujours acceptés par le gouvernement, qui doit vouloir et qui veut en effet être éclairé. » Appeler l’examen de la presse sur les matières soumises à l’élaboration politique du corps législatif, ce n’est point assimiler la discussion de ces matières à un compte-rendu illégal. Nous avons appris par un procès de presse retentissant, celui de M. de Montalembert, que l’article 4 du décret du 11 août 1849 est toujours en vigueur ; cet article déclare que « la présente disposition ne peut porter atteinte au droit de discussion et de censure du pouvoir exécutif et des ministres. » Si l’on a le droit de discuter et de censurer le pouvoir exécutif, n’a-t-on pas le droit bien moins agressif de discuter et de censurer au besoin les actes du pouvoir législatif ? Entre la pratique de la presse, qui a renoncé depuis huit ans à s’occuper des travaux du corps législatif, et la signification plausible que l’on peut attacher aux dispositions de la loi écrite, quel choix faut-il faire ? Qui nous résoudra tous ces doutes ?

Si nous étions, comme l’Angleterre, un pays de droit coutumier en politique, nous pourrions espérer du moins que peu à peu, sans éclat et sans violence, l’usage et les mœurs fixeraient une législation douteuse, redresseraient une législation trop sévère. Justement l’histoire constitutionnelle de l’Angleterre nous offre un précédent qui n’est point sans analogie avec les restrictions réelles ou imaginaires qui détournent depuis huit ans la presse française de s’occuper des travaux du corps législatif. Les rules, le règlement, ou, pour mieux dire, les coutumes de la chambre des communes d’Angleterre, ont longtemps interdit à la presse britannique le compte-rendu des débats parlementaires. Il n’y a guère moins de cent ans que les rapports de la presse avec le parlement étaient encore chez nos voisins à peu près au point où ils sont chez nous aujourd’hui. Cette avance d’un siècle que la liberté de la presse anglaise a sur [nous n’est même pas consacrée par une franchise légale. Dans le sens littéral du mot, c’est illégalement