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foyer, accrue en force par le bruit qu’elle avait fait. À peine de retour, les délégués rendirent compte de leur mission d’un ton qui se ressentait du désappointement essuyé. Le vent était à la guerre ; on s’y préparait dans le camp opposé, et sur deux points les hostilités avaient commencé. La première attaque vint de la Société centrale d’agriculture. Dans une réunion où elle attira la grande noblesse du comté se produisirent des argumens en faveur du maintien de la législation des grains. On soutint que, pour l’activité rurale, c’était une question de vie ou de mort, et qu’à moins de 80 shillings par quarter, il était impossible d’avoir pour le blé un prix rémunérateur, de bons gages pour les journaliers et des revenus satisfaisans pour les propriétaires. On traita les partisans de la réforme d’incendiaires et de spéculateurs, dont le but était de faire émigrer vers les villes les populations des campagnes, afin d’abuser de leur nombre pour faire baisser le taux des salaires et les pervertir par les habitudes de débauche inséparables de la vie des ateliers. Jusque-là les armes étaient loyales : déclamations contre déclamations, colère pour colère. Le parti conservateur alla plus loin ; il voulut déconcerter ses adversaires par une diversion moins inoffensive et leur opposer des auxiliaires plus résolus. Il ne s’agissait que d’un peu d’argent à répandre et de quelques meneurs à embaucher ; ces choses-là, dans le royaume-uni, se font sans scrupule.

On a vu qu’il existait, dans les classes populaires, un parti remuant qui avait la prétention de changer de fond en comble les institutions du pays : c’étaient les chartistes avec leur convention nationale et leur suffrage universel, illusion favorite de la multitude. Ces agitateurs de la pire espèce éprouvaient une jalousie mêlée de rage au spectacle de cette agitation plus calme, plus modeste, qui avait un but défini et un appui dans les classes opulentes. Rien de plus facile que de pousser à un scandale des hommes ainsi disposés : on n’y manqua pas. Jusqu’alors, l’entrée des réunions de la ligue était restée libre, les portes n’en étaient point gardées. Dans une séance où l’on devait donner communication d’un rapport, un certain nombre d’intrus se glissa dans la salle, et dès le début se fit remarquer par ses airs insolens et sa tenue équivoque. Deux ou trois discours venaient d’être prononcés, lorsque, sur un mot d’ordre, le tumulte éclata. « Que l’honnête Pat Murphy prenne le fauteuil ! » dit une voix. Ce Pat Murphy était un marchand ambulant qui, avec son baquet, débitait de porte en porte des pommes de terre. Là-dessus réclamations, rumeurs dans l’assistance. Le fauteuil était occupé par M. Thomas Harbottle ; on l’invita à ne pas s’en dessaisir. « Pat Murphy ! nous voulons Pat Murphy ! » répétèrent les interrupteurs. Le marchand de pommes de terre joua des poings et fendit la foule ; quand il parut sur l’estrade, on put juger quel était l’homme à qui