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instituée ; ils en infligeaient la charge à autrui sans en bénéficier eux-mêmes. Qu’étaient en réalité le fermier et le cultivateur ? Des manufacturiers comme les fabricans de fil et de toile, opérant les uns sur le sol, les autres sur des matières brutes. Dans les deux cas, le meilleur régime était un travail libre : en l’admettant pour les uns, il fallait l’admettre pour les autres ; l’enquête démontrerait clairement cette nécessité. Et comment hésiter à la reconnaître ? Ne s’agissait-il pas de la classe dont les conservateurs avaient pris la défense ? La question était la leur ; rien ne les empêchait de se l’approprier ; ils restaient les maîtres de donner à l’information le tour qui leur conviendrait. L’essentiel était de savoir si l’agriculture ne demeurait pas en arrière de ce qui se passait ailleurs, si elle se tenait à la hauteur des autres branches de l’activité régnicole, si elle obéissait ou résistait à l’esprit du temps, si elle admettait ou repoussait les procédés nouveaux qui avaient agrandi le domaine des industries manufacturières. Tel était en substance le langage de M. Cobden, si concluant dans sa modération, que la chambre et le premier ministre s’en montrèrent émus. Malgré les avances qui leur étaient faites, les conservateurs se tinrent sur leurs gardes, ils virent le piège : l’enquête fut encore repoussée, mais l’effet du discours n’en fut pas moins grand. Tiré à des millions d’exemplaires, il se répandit de maison en maison, de chaumière en chaumière.

Cette année 1845 fut féconde en surprises. Commencée en pleine sécurité pour les conservateurs, elle s’acheva dans une déroute complète. Au mois de février, quand le parlement s’ouvrit, sir Robert Peel était maître de la situation ; il pouvait agir ou s’abstenir ; ses plus grands embarras lui venaient de son propre parti. Après le trouble d’un premier essai, ses réformes avaient réussi ; le budget se soldait par un excédant, la consommation s’était accrue, l’industrie était en plein essor, la réduction des taxes avait abouti à de plus fortes recettes. Encouragé par ces résultats, il proposa et fit adopter des réductions nouvelles, raya du tarif 430 articles, dégreva les sucres, les cotons bruts, le verre et les charbons de terre. Sauf les grains, tout était refondu ; la liberté du commerce n’avait plus qu’un point à emporter ; le premier ministre lui livrait les autres à titre de gages. Les conservateurs ne s’y trompaient pas ; ils assistaient avec tristesse et avec dépit à la défaite de leurs principes ; ils se sentaient trahis, et les plus ardens d’entre eux n’épargnaient à leur chef ni les objections ni les sarcasmes. Dans le camp opposé, on acceptait les concessions sans tenir quitte celui qui les faisait. On appuyait sur l’omission des grains dans cette savante nomenclature. « Notre pain est taxé, disait-on, mais l’arsenic entre librement ; nous ne pouvons nous nourrir, mais nous pouvons nous empoisonner à bon marché. Si les os sont exempts de droits, la viande en reste frappée ; les animaux