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avait été humide et froide ; tous les fruits de la terre étaient en retard. On eût dit que la nature se mettait du côté de la ligue et la servait par ses rigueurs. Quelques semaines s’écoulèrent sans que le soleil réparât les dommages causés par ces intempéries. Sous cette influence, le blé monta rapidement ; de 47 shillings le quarter, il fut porté à 57 shillings. Ce n’était là que le moindre mal. En octobre, une nouvelle alarme se répandit dans le pays ; on parla d’une maladie mystérieuse qui venait de frapper la pomme de terre et de laisser sans ressources des populations qui n’avaient pas d’autre aliment. En effet, la pomme de terre manqua sur plusieurs points, en Écosse et en Angleterre dans quelques comtés, en Irlande dans tous les comtés. Un vide énorme allait se faire dans l’approvisionnement. Là-dessus un cri s’éleva : « Ouvrez les ports ! ouvrez les ports ! » disait-on de tous côtés. « Ouvrez, les ports ! répétait M. Cobden dans une réunion tenue à Manchester ; pourquoi tardez-vous tant à le faire ? L’Allemagne, la Turquie, la Russie vous en ont donné l’exemple ; que ne le suivez-vous ? Attendez-vous des Turcs une leçon de christianisme et des Russes une leçon d’humanité ? ou bien serait-ce que notre sultan à tous, le premier ministre, hésite dans la crainte de n’être pas appuyé par le pays ? S’il en doutait, nous sommes rassemblés ici pour l’assurer de notre concours. Qu’il ouvre les ports, il en a le pouvoir, il serait coupable de n’en pas user ! »

Combattu jusque-là, sir Robert Peel parut prendre un parti. Dans le commencement de novembre, le cabinet se réunit plusieurs fois. Les rapports sur l’état des récoltes furent examinés avec soin ; on ouvrit une enquête sur la situation des approvisionnemens, on chercha à s’éclairer sur cette maladie inattendue qui allait faire de l’Irlande un pays d’affamés, on consulta les savans et les hommes du métier. Quelques détails sur ces séances transpirèrent dans le public. On sut que sir Robert Peel, qui proposait des mesures décisives, avait rencontré dans le conseil de graves dissentimens, que trois de ses collègues s’étaient seuls ranges de son avis. Quoi qu’il en soit, le conseil se sépara sans agir. Déjà les esprits s’irritaient, quand une lettre de lord John Russell, rendue publique et datée d’Edimbourg, éclata comme un coup de foudre. La lettre de lord John était un abandon formel de ses anciennes opinions au sujet d’un droit fixe sur les grains. On sait quelles en furent les conséquences : la démission de sir Robert Peel, présentée le 8 décembre ; l’hésitation de lord John Russell à se charger du pouvoir ; enfin la rentrée aux affaires de sir Robert, dont tous les collègues, excepté lord Stanley, acceptaient le plan de réforme. Dès ce moment, la ligue aurait pu laisser les événemens suivre leur cours ; la victoire était sûre au prix de quelques délais. Cependant son conseil exécutif ne déposa pas les armes, il se crut obligé à un dernier effort : M. Cobden en