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lent qu’il fût, n’eût obtenus même à grands frais. Dans cette limité, l’ambition de M. Cobden n’avait rien d’excessif ; elle aurait eu ce caractère, s’il avait cru que quelques mots semés au passage auraient la vertu de gagner les populations et d’amener les intérêts à résipiscence. Les intérêts ne désarment pas ainsi ; ils sont d’une nature opiniâtre, et ils le prouvent chaque jour. Quand on les tient pour vaincus, ils se redressent avec l’énergie du désespoir ; même à terre, ils luttent encore. Quelle action M. Cobden aurait-il pu exercer sur eux ? Les sentimens, la langue, tout différait. Son influence ne s’étendait pas dès lors au-delà du cercle d’esprits déjà convaincus qui s’étaient formés sans lui où avant lui, et qui s’associaient à ses victoires comme à un triomphe commun. Après comme avant sa visite, les économistes du continent restaient aux prises avec des intérêts irrités, ombrageux et intraitables ; la réforme anglaise, loin de dompter ces intérêts, n’avait fait que les aigrir.

De retour à Manchester, il y reprit le cours de ses occupations positives. Quoique le pouvoir eût changé de mains, la liberté commerciale n’était pas menacée ; elle gagnait au contraire du terrain : les tarifs étaient de plus en plus extirpés, les privilèges de navigation allaient disparaître. Ce fut à la réforme électorale qu’il s’attacha. À Leeds, à Wakefield, centres du comté qui l’avait nommé, il revint à diverses reprises, devant des réunions imposantes, sur le travail des listes et l’utilité qu’il y avait à inscrire le plus possible d’électeurs à 40 shillings. En attendant que la loi fournît d’autres armes, il ne fallait pas négliger celles qu’elle mettait à la disposition des hommes vigilans. L’avis fut écouté, et pendant plusieurs années l’enregistrement électoral fut mené avec zèle et surveillé avec soin. On préparait ainsi les élémens d’une réforme plus complète, qui des vieux bourgs devait faire passer la prépondérance dans les centres populeux. Quant aux limites de cette réforme, il ne semble pas qu’elles aient été dès lors fixées parmi les membres de l’ancienne ligue. Le vote secret, l’extension du suffrage, semblent être les seuls termes sur lesquels on fût d’accord ; en allant plus loin, on eût craint de se confondre avec les radicaux et les chartistes, et d’aboutir aux déceptions du suffrage universel. Ces travaux, commencés en 1849, conduisirent M. Cobden jusqu’à l’époque où il perdit complètement sa voie et se vit abandonné par ses commettans. Destitué par le scrutin, il supporta dignement son échec, et, malgré les instances qu’on lui fit, il se refusa à d’autres candidatures dont les chances étaient certaines. Des affaires de famille, le soin de sa santé, contribuaient à l’éloigner de la vie publique ; le goût du repos, après tant d’agitations, lui était venu. Il était sincère en cela ; il n’y mettait ni calcul, ni fausse coquetterie. Pour