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En résumé, il y a dans la vie de M. Cobden trois périodes que, pour le bien juger, il ne faut pas confondre. Dans la première, il est l’agitateur purement anglais, sortant de sa fabrique pour annoncer à ses compatriotes que l’heure de la liberté commerciale est venue, et qu’au prix de tous les sacrifices de temps, d’argent, de paroles, il faut qu’elle devienne la loi du pays. On a vu ce qu’il lui en a coûté pour cela, et quelle somme d’efforts il a dépensée. Si la résistance est opiniâtre, l’attaque ne l’est pas moins. De part et d’autre, toutes les forces, toutes les énergies se produisent ; l’opinion se forme, s’éclaire, et le champ du combat reste à ceux qui ont pour eux la vérité, la justice et le nombre. Devant cet arrêt, les vaincus se résignent, et par une modération plus grande les vainqueurs désarment. On arrive au but, on ne le dépasse pas. Ainsi se passent les choses dans une société qui dispose d’elle-même. C’est le beau moment de M. Richard Cobden, son titre réel, une victoire qui l’honore. Il s’en enivre et veut aller plus loin, imposer à l’Europe ce que dans son pays il a conquis pied à pied. Ici commencent les illusions, mêlées d’un peu d’orgueil : c’est la seconde période ; il est impossible de la prendre bien au sérieux. Pour l’enseignement des autres peuples, il fallait s’en remettre au spectacle de l’expérience anglaise et à l’impression lente, mais solide, qu’elle laisserait dans les esprits. Les missions libres ou autorisées étaient de trop. Enfin la troisième période est celle où M. Cobden, à ses risques et périls, se fait l’avocat systématique et absolu de la paix. De ce thème, il n’y a rien à dire, si ce n’est qu’il est épuisé, et que le reprendre, c’est montrer beaucoup de candeur. Toutefois ce qui est plus nouveau et moins acceptable, c’est le langage que tiennent quelques hommes de l’école de Manchester, M. Bright entre autres, pour assurer, coûte que coûte, l’effet de leurs opinions ; ce sont les moyens dont ils s’appuient pour comprimer ce qu’il y a dans l’homme de plus généreux et de plus viril, le point d’honneur par exemple, qui est la meilleure garantie de la dignité d’un peuple ; c’est la manière dont ils fouillent dans les cœurs pour y réveiller ce qu’ils renferment d’instincts et de sentimens inférieurs. Il y a là une atteinte portée à la moralité publique, contre laquelle on ne saurait protester par des paroles trop sévères. Ces appels constans à l’intérêt, à l’intérêt seul, à un intérêt étroit, égoïste, exclusif, sont du plus détestable exemple, et, s’ils étaient écoutés, ils aboutiraient infailliblement à l’abaissement des caractères et à la décadence des institutions.


Louis Reybaud, de l’Institut.