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de bonne volonté pour croire à cet amour. Marthe se montrait pour moi pleine de douceur et me souffrait patiemment auprès d’elle. Elle écoutait tous mes longs discours sans jamais témoigner d’humeur, car ma langue s’était dénouée, et j’étais devenu un amoureux terriblement bavard. Elle acceptait mes soins de cavalier servant : je la portais en croupe aux marchés, j’allais aux champs travailler avec elle, et j’essayais de lui prendre une partie de sa besogne. Je dois même dire que je réussissais assez mal, car elle était plus adroite que moi dans tous les travaux champêtres, et c’était elle au contraire qui m’aidait. Je l’accompagnais lorsqu’elle sortait de la messe et des vêpres. Elle était bienveillante pour moi, mais en même temps toujours froide et sérieuse. Si elle voulait sourire, son sourire était contraint ; sa main restait inerte dans la mienne. Quelquefois elle me disait : — Mon Dieu, Bernard ! pourquoi m’avez-vous choisie ? quelle triste femme vous allez avoir !

Ces paroles me décourageaient bien un peu, mais la Capinette me rendait le courage.

— Elle vous aimera, dit-elle ; vous ne savez pas ce que nous disons entre nous, nous autres filles de campagne : « Quand il sera le mien, il faudra que je l’aime ! » Elle me recommandait en même temps de ne pas afficher notre amour ou de nous marier le plus vite possible. La joie que j’éprouvais d’être auprès de Marthe me fit oublier la première recommandation. Quant au mariage, Marthe ne voulait pas en entendre parler avant le carnaval suivant. Le maquignon, que je rencontrais souvent, paraissait avoir oublié tout ce qu’il avait dit de Marthe. Il me félicitait et semblait impatient de voir arriver le jour de la noce, se promettant de danser ; mais le jour de la noce était bien loin, car nous n’étions encore qu’à la Saint-Jean. J’étais à ce moment le plus heureux des hommes. Depuis quelques jours, il me semblait que Marthe était plus joyeuse. Ses joues avaient repris leurs couleurs ; je l’avais entendue chanter ; elle riait, ses yeux étaient brillans. La Marthe d’autrefois avait vaincu le charme. Mon oncle, qui n’était pas partisan des longues amours, s’était engagé à hâter notre mariage. Aussi, le soir de la Saint-Jean, à peine le soleil était-il couché, je m’en allai chez Noguès. J’étais dans d’excellentes dispositions pour prendre ma part des divertissemens de cette soirée.

C’était alors dans nos landes une grande solennité que la fête de saint Jean, et pas un chef de maison n’eût oublié ce jour-là d’allumer la haille, quand j’arrivai chez Noguès, je vis qu’on la préparait sur le point culminant du coteau où était située la maison. Autour d’une longue barre, de bois fixée en terre, on entassait des épines sèches, des sarmens, et les enfans regardaient ces apprêts