Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/354

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

personne les accompagnait. Cette troisième personne était un homme de haute taille qui portait le costume catalan. Il avait une culotte courte, des espadrilles et un grand bonnet de laine dont l’extrémité arrondie lui retombait au milieu du dos. Il s’assit sur une grosse pierre. La femme à la capule se tenait debout auprès de lui. Je ne pouvais distinguer la figure de l’homme, qui s’était placé dans l’ombre projetée par la tour du moulin. Il me sembla qu’il mangeait et qu’il buvait.

La Chouric s’était éloignée d’eux. Elle se promena d’abord paisiblement, puis elle se mit à sauter, à danser et à chanter. Elle imita ensuite le miaulement du chat et cria tout haut : Mounin, mounin, qui est le nom des chats dans le pays. Après avoir fait quelque temps ce manège, elle rentra dans le moulin, et elle en sortit tirant après elle un animal de petite taille qui paraissait avoir des cornes formidables.

— Le sabbat va commencer, dit le maquignon.

Mais en ce moment un cheval ayant henni dans une pâture voisine, l’animal mystérieux se mit à braire de la façon la plus accentuée. Pour moi, je m’inquiétais peu de ce que faisait la sorcière. L’homme avait fini de manger. La femme à la capule s’était assise auprès de lui. Il avait allumé une cigarette, et ils causaient. Parfois le vent m’apportait le bruit d’un chuchotement confus où je ne retrouvais aucune voix connue. Je souffrais horriblement, j’étais plongé dans une anxiété qui me tuait. Était-ce Marthe que je voyais ? Quel était cet homme ? Tout à coup un son nasillard se fit entendre, le son d’une guitare…

Je ne pus m’empêcher de dire presque tout haut : — C’est le Muscadin.

— Patience ! me répondit Capin à voix basse.

— Mais ce n’est pas Marthe.

— Suivez-moi, dit-il, courbez la tête.

Je fis ce qu’il me commandait de faire. Nous contournâmes la lande, et il me conduisit sur un petit chemin entouré de haies vives. — Elle va passer là, dit-il ; si vous avez un peu de cœur, vous pourrez savoir si c’est Marthe qui cause avec le Muscadin.

Nous attendîmes un quart d’heure environ. Le bruit de la guitare arrivait jusqu’à nous. Je reconnaissais tous les airs favoris du Muscadin. Enfin la guitare se tut. J’entendis la voix de la Chouric ; elle passa devant nous. L’autre femme la suivait, se tenant éloignée de quelques pas. J’eus un moment de faiblesse, j’hésitai ; je sentais que le sort de ma vie entière allait se décider. Le son de la guitare se fit entendre de nouveau ; je m’élançai, et j’écartai violemment les bords de la capule. La lune éclaira en plein le visage de Marthe.