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— Rien n’est plus facile à expliquer, répondit-il. Le maquignon avait promis une dot de douze mille francs à sa fille. Il lui était impossible de la payer ; n’en eût-il payé qu’une portion, il se serait ruiné entièrement. Or il avait stipulé dans le contrat que cette dot ne serait payable que lors du mariage de Marthe, et il avait préalablement décidé que la pauvre fille ne se marierait jamais. L’amour du Muscadin dérangeait son plan. Il se servit habilement de la réputation de la mère pour empêcher le mariage du fils. C’est lui qui avait empoisonné les poissons de l’étang et les bœufs de Noguès. Cependant, comme il voyait que ce dernier hésitait encore, il tenta un coup hardi. Il savait que la vieille femme allait avec son chien tous les soirs à la maraude dans un petit bois. Il éloigna le chien de la maison à l’aide d’un quartier d’agneau, et tira sur la Chouric, tandis que Noguès tirait sur le prétendu loup blanc. Il avait caché son fusil dans le bois. Il pouvait d’autant plus facilement hasarder cette fourberie que tous les gens qui faisaient partie de notre bande étaient à moitié morts de peur ; aucun n’avait conservé son sang-froid. Vous savez comment il s’y prit pour empêcher mon mariage. En résumé, il voulait que Marthe restât fille, et il a réussi. Il n’y a dans tout cela rien de prodigieux, si ce n’est la bêtise de mes paroissiens et l’esprit de ruse infernal déployé par le maquignon.

Le soir même du jour où le curé m’avait raconté cette histoire, je revenais chez moi. J’avais pris le plus long, parce que je voulais revoir la cabane de la sorcière. Chemin faisant, je rencontrai le brûleur qui avait été guéri de la fièvre quarte, et nous causâmes de choses et d’autres. Nous arrivâmes devant la maison de la Chouric. Dans le petit jardin, encombré de ronces et de mauvaises herbes, nous aperçûmes deux femmes : c’était la Chouric et Marthe.

Quand nous fûmes à une petite distance, le brûleur, me dit en fermant un œil et en souriant de son air le plus fin : — Il paraît qu’il y aura fête ce soir ! — Vous voulez parler du sabbat ? lui dis-je.

— Oui, répondit-il ; il y a bien des gens qui iront, et dont on ne se méfie guère.

— M. le curé par exemple ? ajoutai-je, voulant faire l’homme bien informé.

— Peut-être, dit le brûleur. Dans tous les cas, il n’est pas aussi bon sorcier que son oncle. Il a grêlé deux fois depuis qu’il est ici ; mais il n’est pas étonnant que l’autre ne soit pas très bien avec lui : ils aiment tous les deux la même femme, la reine du sabbat.


EUGENE DUCOM.