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une sécularisation excessive et rompant brusquement avec le principe même de la souveraineté pontificale. La route est difficile à suivre, et difficile surtout, si l’on veut faire d’avance un système complet de réforme. Il ne s’agit pour le moment que de considérer la marche des événemens et de pourvoir aux nécessités de chaque jour. L’appel du général de Lamoricière à Rome et la réorganisation de l’armée pontificale étaient une de ces nécessités. Il fallait avoir une force disponible contre un coup de main ; cette force créée, il faut savoir s’en servir habilement, c’est-à-dire ne point provoquer mal à propos l’ennemi extérieur, et ne point non plus employer cette force nouvelle à continuer la réaction cléricale. Cette réaction a été essayée depuis dix ans comme moyen de gouvernement ; elle n’a pas réussi. Qu’en peut-on attendre encore ?

Rester fermement l’arme au bras en face de l’ennemi extérieur, libéraliser l’administration qui date de 1814 par les traditions de Sixte-Quint, favoriser dans les États-Romains le retour de l’esprit municipal, afin de se défendre contre l’esprit unitaire, voilà quelques-unes des pensées de prudence qui prévaudront chaque jour davantage à Rome, et qui amèneront la réforme que nous souhaitons avec d’autant plus de confiance que nous la regardons comme inévitable. La crise qui vient d’avoir lieu a été violente. La papauté temporelle n’est pourtant pas tombée du coup. C’est là le point capital. Deux choses l’ont soutenue : à Rome et sur les lieux, la présence de notre armée ; en Europe, l’émotion catholique qui s’est manifestée. Cette émotion a été sincère ; elle est devenue une force pour la papauté. Qu’on ne croie pas cependant à Rome que cette force extra-italienne, étant toute pontificale, soit décidée à soutenir purement et simplement la réaction cléricale des dix dernières années : elle sait bien que Rome ne peut être sauvée que par des mesures libérales, par un esprit différent de celui qui l’a perdue. C’est donc à l’esprit de 1847, à l’esprit des premiers jours de Pie IX, qu’il faudra tôt ou tard recourir. Quoiqu’on parle beaucoup de l’ingratitude et de l’oubli des peuples, et qu’il y ait lieu, je l’avoue, d’en beaucoup parler, l’Italie cependant n’a point perdu, j’en suis sûr, le souvenir des premiers jours de Pie IX, et elle n’attend pour s’en souvenir que de voir le pape en reprendre lui-même la mémoire.


SAINT-MARC GIRARDIN.