Page:Revue des Deux Mondes - 1860 - tome 27.djvu/385

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se joint à la solidité ; l’auteur de Cooper’s Hill sait plaire autant qu’imposer. Son poème est comme un parc monarchique, digne et nivelé sans doute, mais arrangé pour le plaisir des yeux et rempli de points de vue choisis. Il nous promène en détours aisés à travers une multitude d’idées variées. Il rencontre ici une montagne, là-bas un souvenir des nymphes, souvenir classique qui ressemble à un portique de statues, plus loin le large cours d’un fleuve, et à côté les débris d’une abbaye : chaque page du poème est comme une allée distincte qui a sa perspective distincte. Un peu après, la pensée se reporte vers les superstitions du moyen âge ignorant et vers les excès de la révolution récente ; puis vient l’idée d’une chasse royale, on voit le cerf inquiet arrêté au milieu du feuillage. « Il se rappelle sa force, puis sa vitesse ; ses pieds ailés, puis sa tête armée, les uns pour fuir son destin, l’autre pour l’affronter. » Il fuit pourtant, et les chiens aboyans le pressent. Ce sont là les spectacles nobles et la diversité étudiée des promenades aristocratiques. Chaque objet d’ailleurs reçoit ici, comme en une résidence royale, tout l’ornement qu’on peut lui donner ; les épithètes d’embellissement viennent recouvrir les substantifs trop maigres ; les décorations de l’art transforment la vulgarité de la nature ; les vaisseaux sont des « tours flottantes ; » la Tamise est la fille bien-aimée de l’Océan ; la montagne cache sa tête altière au sein des nues, pendant qu’un manteau de verdure flotte sur ses épaules et sur ses flancs. Entre les diverses sortes d’imaginations, il y en a une monarchique, toute pleine de cérémonies officielles et magnifiques, de gestes contenus et d’apparat, de figures correctes et commandantes, uniforme et imposante comme l’ameublement d’un palais : c’est d’elle que les classiques et Denham tirent toutes leurs couleurs poétiques ; les objets, les événemens, prennent sa teinte, parce qu’ils sont contraints de la traverser. Ici les objets et les événemens sont contraints de traverser encore autre chose. Denham n’est pas seulement courtisan, il est Anglais, c’est-à-dire préoccupé d’émotions morales. Souvent il quitte son paysage pour entrer dans quelque réflexion grave ; la politique, la religion, viennent déranger le plaisir de ses yeux ; à propos d’une colline ou d’une forêt, il médite sur l’homme ; le dehors le ramène au dedans, et l’impression des sens à la contemplation de l’âme. Les gens de cette race sont par nature et par habitude des hommes intérieurs. Lorsqu’il voit la Tamise se jeter dans la mer, il la compare « à la vie mortelle qui court à la rencontre de l’éternité. » Le front d’une montagne battue par les tempêtes lui rappelle « la commune destinée de tout ce qui est haut et grand. » Le cours du fleuve lui suggère des idées de réformation intérieure. « Ah ! si ma vie pouvait couler comme ton onde, si je pouvais prendre ton cours pour modèle, comme je l’ai pris pour sujet, limpide, quoique profond, doux