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qu’autrefois. On sentait que cet œil-là avait vu beaucoup de choses que le cerveau avait comprises, et qu’il avait des larmes qui venaient de l’âme encore plus que de la sensation.

Quant à Tonine, elle n’avait jamais été précisément belle avant le départ de Sept-Épées, et elle l’était maintenant. Elle avait perdu sa pâleur, et les contours de ses joues et de sa personne avaient pris un peu plus de rondeur sans perdre de leur finesse. Elle était habillée à peu près comme autrefois. Cependant une jupe plus ample, des cheveux plus bouffans, quelque chose qu’on ne pouvait pas préciser, mais qui se sentait dans tout, lui donnait plus que jamais son air de princesse.

— On t’a trompé, mon ami, dit-elle à Sept-Épées, je n’ai jamais été malade ni dans la misère. C’est Lise qui a inventé tout cela pour te faire revenir, et je ne l’en ai pas empêchée. Me pardonnes-tu ?

— Ah ! Tonine, je t’en remercie ! Tu n’as pas douté de mon retour ; mais pourquoi donc, mon Dieu, ne m’avoir pas fait revenir plus tôt ?

— Et toi, pourquoi n’es-tu pas revenu quand je t’ai écrit que je n’épouserais pas le docteur Anthime ?

— Tu m’as écrit cela, Tonine ?

— Oui, trois jours après ton départ, c’est-à-dire aussitôt que je t’ai su parti.

— Et moi, je n’ai pas reçu la lettre ! Ah ! malheureux que je suis ! Avoir tant souffert, t’avoir perdue si longtemps, quand je pouvais être heureux tout de suite !

— Ne regrette rien, je ne t’aurais pas épousé tout de suite, et peut-être, qui sait ? je n’aurais pas repris confiance en toi de si tôt. Nous ne nous comprenions pas, vois-tu, dans ce moment-là, nous ne pouvions pas nous comprendre. Tu avais trop de choses dans la tête, et moi je ne voyais pas bien clair non plus dans la mienne. J’avais aussi mes jours d’ambition ; j’aurais voulu être à même de faire beaucoup de bien, et ton dépit ne me semblait pas de la véritable amitié. Je me confesse à toi, Sept-Épées. Pendant quelques jours, croyant que tu songeais à Clarisse, j’ai songé à un autre, mais sans pouvoir l’aimer. Et quand j’ai connu ton chagrin, tout a été fini. J’ai remercié ce jeune homme, je lui ai dit que je t’aimais toujours, malgré moi, mais que je t’aimais, toi, et non pas lui ! Nous nous sommes quittés en nous serrant la main. Depuis ce temps-là, j’ai bien cru que tu m’avais oubliée tout à fait, et je ne voulais plus penser à toi ; mais je n’ai jamais pu en regarder un autre. J’avais beaucoup d’ennui et de tristesse sans le faire paraître ; mais il m’est survenu de grandes occupations que je te raconterai un peu plus tard, et je ne pensais plus avoir jamais le temps de me marier, lorsque dernière-