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la politesse des formes, non celle du cœur ; ils n’avaient du monde que la convention et les convenances, l’étourderie et l’étourdissement.

Leurs comiques peignent ses vices et les ont. Ces vices, que leur théâtre imite, se communiquent à lui. L’art y manque, et la philosophie aussi. Les écrivains ne vont pas vers une idée générale, et ils ne vont pas par le chemin le plus droit. Ils composent mal, et s’embarrassent de matériaux. Leurs pièces ont communément deux intrigues entre-croisées, visiblement distinctes[1], réunies pour amonceler les événemens, et parce que le public a besoin d’un surcroît de personnages et d’action. Ils veulent un gros courant d’actions tumultueuses pour remuer leurs sens épais ; ils font comme les Romains, qui fondaient en une seule plusieurs pièces attiques. Ils s’ennuient de la simplicité de l’action française, parce qu’ils n’ont pas la finesse du goût français. Leurs deux séries d’actions se confondent et se heurtent. On ne sait où l’on va ; à chaque instant, on est détourné de son chemin. Les scènes sont mal liées ; elles changent vingt fois de lieu. Quand l’une commence à se développer, un déluge d’incidens vient l’interrompre. Les conversations parasites traînent entre les événemens. On dirait d’un livre où les notes sont pêle-mêle entrées dans le texte. Il n’y a pas de plan véritablement calculé et rigoureusement suivi ; ils se sont donné un canevas, et en écrivent les scènes au fur et à mesure, à peu près comme elles viennent. La vraisemblance n’est pas bien gardée ; il y a des déguisemens mal arrangés, des folies mal simulées, des mariages de paravent, des attaques de brigands dignes tout au plus de l’opéra-comique. C’est que pour atteindre l’enchaînement, la vraisemblance, il faut partir de quelque idée générale ; une conception de l’avarice, de l’hypocrisie, de l’éducation des femmes, de la disproportion en fait de mariage, arrange et lie par sa vertu propre les événemens qui peuvent la manifester. Ici cette conception manque. Congreve, Farquhar, Van Brugh ne sont que des gens d’esprit, et non des penseurs. Ils glissent à la surface des choses, ils n’y pénètrent pas. Ils jouent avec les personnages. Ils visent au succès, à l’amusement. Ils esquissent des caricatures, ils filent vivement la conversation futile et frondeuse ; ils heurtent les répliques, ils lancent les paradoxes ; leurs doigts agiles manient et escamotent les événemens en cent façons ingénieuses et imprévues. Ils ont de l’entrain, ils abondent en gestes, en ripostes ; le va-et-vient du théâtre et la verve animale font autour d’eux comme un pétillement. Néanmoins

  1. Dryden s’en vante. Il y a toujours chez lui une comédie complète amalgamée grossièrement avec une tragédie complète.