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soldats de travailler aux fortifications de Kars, la loi religieuse devra céder aux considérations militaires. Le cheik-ul-islam, consulté par lord Stratford, trouvera une interprétation du Koran qui permette aux soldats de rompre le jeûne. Faut-il des exemples pour rétablir la discipline, arrêter les déprédations, faire taire les murmures des officiers, des généraux, le divan concédera tout. Les plus hautes dignités n’abriteront pas les coupables ; ils seront arrêtés, traînés en prison, jugés, condamnés. Lord Stratford veillera encore à ce qu’ils n’échappent point au châtiment de leurs méfaits, ainsi qu’il arrive trop souvent en Orient. Les mouchirs Achmet-Pacha, Moustafa-Zarif-Pacha, les feriks Aali-Pacha, Souleyman-Pacha, les livas[1] Achmet-Pacha, Moustafa-Pacha, Kourd-Moustafa-Bey, Kadry-Bey, Nouri-Bey, et nombre d’autres officiers-généraux et supérieurs sont ainsi traduits devant des conseils de guerre pour vol, ivrognerie ou lâcheté sur le champ de bataille. Le ferik Schoukri-Pacha, commandant intérimaire de l’armée d’Asie, et son chef d’état-major Hussein-Pacha, accusés d’avoir manqué de respect au commissaire de la reine, n’échappent à une condamnation que grâce aux subterfuges de leurs protecteurs à Constantinople.

Le divan aurait voulu parfois se soustraire à la sollicitude de cette incommode amitié, mais lord Stratford n’a garde de l’abandonner à lui-même. Il connaît l’apathie des Turcs, leur esprit d’intrigues, leur vénalité, leur corruption, « ce chancre, dit-il, qu’il combat depuis douze années. » Il ne leur accorde ni repos ni trêve, il veut les sauver en dépit d’eux-mêmes ; mais il veut poursuivre cette œuvre à sa guise, et il faut que le gouvernement anglais ne contrarie en rien sa volonté. Lord Clarendon s’avise-t-il de se plaindre de l’abandon où le divan laisse l’armée d’Asie, lord Stratford prend alors la défense de ses protégés ; mais en quels termes !


« Sans doute il est à regretter, dit-il, que les ministres ottomans apportent à suivre les conseils que je leur transmets une lenteur si peu compatible avec les exigences de la situation. On ne fait pas boire des chevaux malgré eux : le proverbe n’est pas moins vrai à Constantinople qu’à Londres ou à Paris ; mais, si je ne puis décider mes chevaux à prendre une allure plus vive, je dois dire que les circonstances parfois les excusent. Les rigueurs de l’hiver, les distances, l’état des routes, le défaut d’argent, l’étendue du mal auquel il s’agit de porter remède, la difficulté pour le gouvernement de trouver des agens qui méritent sa confiance,… ces causes et tant d’autres que je pourrais énumérer entraînent des pertes de temps. Je regrette qu’il en soit ainsi, je blâme les ministres ottomans de ne pas mettre plus d’activité à surmonter les obstacles qui s’opposent à la marche des affaires ; mais

  1. Les grades de mouchir, de ferik, de liva, équivalent en Turquie aux grades de maréchal de France, de général de division et de général de brigade.