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blique après les témoignages de déférence qu’il lui avait vu recueillir à chaque pas dans la rue ; mais aussi comment expliquer l’indignation du parrain à l’ouverture qui lui avait été faite ? Et pourquoi Tonine avait-elle subitement disparu, comme pour ne pas être présente à l’explication ?



XV.


Quand une idée noire s’empare d’un cerveau logique, elle trouve toujours à s’y fonder sur des inductions désespérantes. Sept-Épées s’imagina que Tonine avait pu avoir un intérêt grave, tout différent d’un intérêt de cœur, à le rappeler auprès d’elle. Pourquoi n’avait-elle pas osé lui écrire elle-même ? Pourquoi avoir employé Lise à l’insu de son mari et du vieux parrain ? Et ces mensonges gratuits qu’on lui avait faits pour éprouver son dévouement, la maladie, la misère, la laideur même ? Puis tout à coup l’apparition de Tonine que l’on disait absente, de Tonine belle, riante et passionnée, acceptant, exigeant même un serment qu’elle avait toujours repoussé, prenant Lise à témoin et se hâtant de traverser la ville avec lui, comme pour le compromettre dès la première heure ! Gaucher n’avait-il pas paru stupéfait de ce mariage ? et déjà, sur le sentier de la montagne, Va-sans-Peur n’avait-il pas dit comme le parrain :

— Songer à Tonine ! ce n’est pas possible !

Sept-Épées s’habilla sans trop savoir ce qu’il faisait ; puis il tomba sur une chaise, oubliant qu’il était attendu. Ses yeux rencontrèrent sur la fenêtre un objet qui le fit tressaillir : c’était un pot de réséda, un pot bleu et blanc qu’il connaissait bien, et qu’autrefois, chez la Laurentis, il avait trouvé dans sa chambre, le jour où Tonine avait fait son déménagement. Elle savait qu’il aimait l’odeur du réséda : c’est une attention qu’elle avait eue alors et qu’elle venait de renouveler avec sa délicatesse accoutumée.

Sept-Épées sentit des larmes couler sur ses joues brûlantes. Il y avait un mystère autour de lui, un mystère effrayant à coup sûr. Comment Tonine savait-elle qu’il devait être reçu et accueilli chez la demoiselle, et qu’il y aurait précisément cette chambre-là ? Cette demoiselle si bonne,… beaucoup trop bonne peut-être !… avait-elle un frère, un neveu ?… — Non, non ! s’écria Sept-Épées en se levant comme pour échapper aux suggestions d’un mauvais esprit ; tout ce qui me vient là est épouvantable, et Tonine est toujours un ange du ciel ! Tonine, Lise ! Tonine, Gaucher ! où êtes-vous ? Pourquoi suis-je seul au moment où mon cœur déborde et où ma tête se perd ?

— Nous voilà, nous voilà ! répondit gaiement Gaucher, qui chuchotait avec sa femme devant la porte. Tonine est déjà là-bas qui