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cependant : aux dangers de l’extérieur venaient se joindre les dangers de l’intérieur. Le chef kourde Yezdeschir-Bey avait appelé à la révolte les tribus des montagnes qui entourent le lac de Van. Deux bataillons levés parmi ces tribus avaient déserté avec armes et bagages. L’insurrection, fomentée par les intrigues de la Russie, alimentée par la haine du régime de la conscription, que le sultan Mahmoud avait imposé à ces sauvages montagnards par la force des armes, gagnait de proche en proche et menaçait de devenir générale. Les populations grecques et arméniennes, courbées sous le joug depuis des siècles, répétaient avec une évidente satisfaction que les Russes étaient venus à Erzeroum en 1828, et qu’ils y reviendraient bientôt. Elles assistaient les ennemis en secret de tout leur pouvoir, les instruisaient des moindres détails qu’il leur importait de savoir, et se gardaient de dévoiler aux Turcs les préparatifs de guerre qui se faisaient à Goumry. Une armée russe de 30,000 hommes put ainsi se concentrer à quelques heures de Kars, sans que le colonel Williams en reçût le moindre avis. Ce fut seulement le 29 mai 1855, au moment où les Russes allaient entrer en campagne, que le lieutenant-colonel Lake, détaché à Kars pour surveiller les travaux des fortifications, lui fit part des projets de l’ennemi, en l’invitant à se rendre au plus vite auprès du mouchir. Celui-ci voulait, dans son effroi, abandonner la position et ramener son armée à Erzeroum. Il fallut toute l’autorité que le colonel Williams s’était acquise sur son esprit pour le décider à rester à son poste.

Le siège de Kars allait donc commencer et donner à cette triste guerre un dénomment trop prévu. Le mouvement des Russes sur Kars prenait l’armée turque au dépourvu ; de grands approvisionnemens accumulés sur le revers opposé du Soghanly-Dagh n’avaient pu être amenés jusqu’à la ville faute de charrois. Quelques dépôts durent même être abandonnés dans les villages voisins. Malgré ce contre-temps, la garnison avait des vivres assurés pour quatre mois, les ouvrages du camp retranché étaient terminés et armés. Les troupes, dont l’instruction avait été pendant le cours de l’hiver l’objet de soins assidus, étaient maintenant en état de défendre vigoureusement les positions qu’elles occupaient. Elles avaient confiance en elles-mêmes. Les officiers qui les avaient si lâchement abandonnées pendant la bataille de Kourouk-Déré avaient été chassés et remplacés par ceux qui, dans cette rencontre, avaient fait preuve d’intelligence et d’énergie. La défense était dirigée par quelques officiers anglais d’un véritable mérite, et, ce qui valait encore mieux, le colonel Williams, qui avait en réalité le commandement suprême, était résolu à résister jusqu’à la dernière extrémité.


SAINT-PRIEST, DUC D'ALMAZAN.